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Commentaire sur :
Les Soprano, de David Chase

18 février 2006


Pour lire un peu plus :

- Le site officiel de la série
- Le SI du FBI

Les Soprano, c’est cette série télévisée où le patron de la mafia du New Jersey, sujet à des malaises épisodiques, consulte une psychanalyste.

La série donne sur la société américaine une vue partielle, mais approfondie. Elle a suscité les protestations des associations d’Italo-américains qui n’y ont vu qu’une caricature désobligeante. D’anciens membres de la mafia, par contre, ont dit qu’elle reflétait fidèlement leur expérience - beaucoup mieux sans aucun doute que ne l'a fait Le parrain de Coppola. Des psychanalystes ont reconnu leur pratique professionnelle dans les séances entre Tony Soprano et le Dr Melfi.

*   *

Intrigué par des épisodes vus sur Canal Jimmy lors de quelques soirées de paresse et de télévision, j’ai acheté les DVD pour la voir en entier. J’allais écrire : pour la lire, car c’est une œuvre littéraire dont la qualité fait exception sur la toile de fond médiocre des séries télévisées.

Je la parcours en famille au rythme d’un épisode par soirée. On découvre des personnages soigneusement bâtis : coiffure, habillement, mimique, gestes, vocabulaire, élocution, comportement, tout se tient. Tout comme d’autres personnages de fiction, comme un Fabrice del Dongo ou une marquise de Merteuil, ils fournissent un sujet de conversation et des points de repère : « As-tu vu cette dame ? c’est Janice tout craché », « ce Monsieur se comporte comme Paulie », « une telle a le rire d’Adriana », « on dirait la mère de Tony » etc. Mais ce réalisme est noir : aucun des personnages n’échappe à la mécanique de ses instincts ni à la logique de sa situation, aucun ne domine son destin. Le plus intéressant, sinon le plus sympathique, c’est Tony Soprano, le chef de bande, homme rusé à la riche personnalité.

Certains épisodes sont très denses. Les allusions sont rapides, il faut les saisir au vol : si l'on regarde cette série d’un œil distrait, on en perd l’essentiel. Quelques-unes des répliques font rire sur le moment, puis restent en mémoire[1].

*   *

Le pivot de la famille Soprano, c’est le réfrigérateur où ils piochent à toute heure de la journée. Cela suscite un commentaire : « Ils passent leur temps à manger, ces Américains ! ». Carmela, l’épouse, est une catholique pratiquante et assidue, ce qui ne l’empêche pas de profiter de l’argent du crime. Tony Junior et Meadow, les adolescents, sont des incompris qui soupirent en roulant des yeux excédés.

Les membres de la bande sont entre eux comme des chiots dans un panier : la dispute est permanente, parfois violente. Ils gagnent leur vie en pratiquant le prêt usuraire, rackettant les commerçants, pillant des camions de marchandise, cambriolant des coffres-forts, attaquant des bandes rivales. Ils passent à tabac et, à l’occasion, ils tuent. Ils se considèrent comme des soldats, violents par nécessité, engagés dans un métier dont il faut appliquer les règles. Malheur au joueur qui ne peut pas rembourser sa dette : il se fera casser la figure et les bandits s’imposeront comme associés dans ses affaires, qu’ils videront de leur substance. « C’est ainsi que je gagne ma vie », dit Tony à un ami d’enfance qui est aussi une de ses victimes.

Lorsque Tony essaie d’entrer en relation avec ses voisins, des Italo-américains bien intégrés, il sent qu’on se moque de lui. « Les Americanos, explique-t-il à sa psychanalyste, ne veulent de nous autres Italiens que pour faire les sales boulots. Nous devons nous battre pour trouver une place. Avec l’argent que nous gagnons, nous payons à nos enfants des études et ils seront des membres respectés de la société américaine. Je ne veux pas qu’ils aient la même vie que moi ! »

Les agents du FBI tentent de réunir les preuves qui permettraient de coincer la bande. Mais Tony est prudent. Il évite de parler affaires dans les endroits où pourraient se trouver des micros. Les cadavres des personnes assassinées sont bien cachés. L’installation d’un micro dans sa maison, montée avec une méthode militaire d’une rigueur comique, ne donne aucun résultat. Le seul moyen qui reste au FBI, c’est de contraindre un des membres de la bande, pincé pour trafic de drogue, à donner des renseignements et à porter un micro.

Malheur à ce traître s’il se fait repérer : il sera exécuté et on dira aux autres qu’il a bénéficié du programme de soutien aux repentis… Car on ne fait pas de sentiment. Les rapports humains sont froids, sauf avec les enfants – mais ces jeunes gens promis à l’université ne renvoient guère d’affection à leurs parents. Les aventures sexuelles, fréquentes, sont sans tendresse. Les épouses sont respectées – « c’est la règle », dit Paulie – mais les autres femmes sont traitées comme des objets.

C’est une fable sombre. Le seul espoir réside dans la promotion sociale des enfants, financée par l’argent du crime, donc viciée à la racine et avec le conformisme pour tout horizon.


[1] « Je suis un ami de votre fils, nous nous sommes connus aux alcooliques anonymes. » « Comment vous appelez-vous ? » « Nous sommes anonymes ».

« C’est aussi classe qu’un hôtel du Captain Tib » (le Dr Melfi avait parlé du Cap d’Antibes) « C’est qui, ça ? » « Je sais pas, moi, un capitaine ».

« Pas question que je verse 50 000 $ à cette foutue université. J’en connais un bout, moi, en matière d’extorsion : c’est mon job ».

« Vous savez, ce témoin qui a dit qu’il avait vu une chose dont nous savons qu’elle ne s’est pas produite ? Eh bien maintenant il a compris qu’il n’avait pas vu cette chose qui ne s’est pas produite. »

« Dieu est mort » « Qui t’a dit ça ? » « Nitch ».

« Vous avez bien fait de me conseiller de lire Sun Tzu. Il était pas con, ce général chinois d’il y a 2400 ans ! Ce qu’il dit, c’est exactement ce que nous faisons. Dans mon métier les autres parlent tous de Machiavelli, mais Sun Tzu lui est bien supérieur ».