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Commentaire sur :
Gabriel Chevallier, La peur, PUF 1930

20 janvier 2005


Pour lire un peu plus :

- Le grand livre de la stratégie
- L'Amérique en armes

Nos grands oncles et nos grands-pères, que l’on a envoyés en 14-18 se faire démolir, étriper et écraser par les obus et les mitrailleuses, ont éprouvé une peur affreuse. Ils l’ont surmontée pour faire ce que l’on attendait d’eux. Mais après les combats, par pudeur ou par crainte de ne pas être compris, ils ont servi à « l’arrière » les récits héroïques dont celui-ci était gourmand.

Chevallier a eu, lui, le courage de parler de sa peur. Son témoignage fait revivre ces jeunes hommes dont le corps, le psychisme ont été brisés. L’écriture, d’une correction tendue et voulue, devient éclatante de fraîcheur lorsqu’il cite les propos des soldats dans une langue orale aussi tonique que si elle datait d’hier.

Chevallier, simple soldat, évoque le courage des officiers subalternes qui partageaient la vie et les risques de la troupe, et aussi l’ineptie criminelle du commandement. Les généraux français, dressés à la routine de la vie de garnison, à l’artifice des manœuvres ou aux facilités tactiques de la guerre coloniale, ne comprenaient rien à cette guerre industrielle. Leur conception rigide de la discipline les empêchait d’entendre les témoignages et de réfléchir à la stratégie[1] : c’est ainsi qu’ils ont mené une génération à l’abattoir. Une de mes relations d'affaire, général d’armée aérienne, m’a dit un jour : « On aurait dû fusiller les généraux de la guerre de 14 ».

Les soldats, entre eux, se nommaient « les bonhommes ». Cette appellation sympathique s’appliquait également à ceux d’en face, coincés eux aussi entre l’ennemi et des gendarmes.

Chevallier décrit des combats d’une violence désespérée après lesquels on éprouvait de la compassion envers les prisonniers – voire même de l’envie, car pour eux la guerre était finie.

Il n’est rien de tel pour jouer le va-t-en guerre que celui qui ne s’est jamais battu : généraux bons à passer des revues, civils héroïques sans risque, politiciens militaristes[2]. Ces matamores ont été en 1930 scandalisés par le témoignage de Chevallier : il fallait que le soldat français fût conforme à l’image du héros. Mais ceux qui avaient fait la guerre au front, par contre, s’y sont reconnus : « Oui, ont-ils dit, c’est bien ainsi que les choses se passaient ».


[1] « Dans la position du garde-à-vous, a dit Lyautey, les talons se joignent et la cervelle se vide ».

[2] Ainsi George W. Bush, ferme partisan de la guerre au Vietnam, s’est arrangé pour faire son service militaire aux États-unis dans la garde nationale. Quant à Tony Blair, il n’a à ma connaissance fait aucun service militaire. Les généraux américains et anglais, qui avaient l’expérience de la guerre, étaient moins enthousiastes que ces deux politiciens pour envoyer des troupes en Irak.