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Steven Aftergood m’a fait découvrir ce 
petit livre que l'on peut télécharger à partir de
http://www.fas.org/oneworld/index.html.
 
Il a été écrit en 1946 par des 
scientifiques qui avaient participé à l’élaboration de la bombe atomique. Ils 
voulaient attirer l’attention des politiques sur les conséquences de cette 
invention. Parmi les signataires on trouve Bohr, Compton, Einstein, Langmuir, 
Oppenheimer, Szilard, Wigner etc.  
Les textes fondamentaux d’une 
discipline sont souvent plus clairs, plus nets que les textes « pédagogiques » 
qui résultent de leur digestion : après avoir subi un cours d’économie, lire 
Adam Smith est rafraîchissant. De même, il est instructif de découvrir dans leur 
vigueur initiale les intuitions, doutes, démarches et inquiétudes des 
scientifiques qui ont mis au point la bombe atomique.  
Einstein avait vu dès 1905 
l’équivalence de la masse et de l’énergie,  hypothèse confirmée 
expérimentalement en 1933. Il restait à trouver le moyen de dégager une quantité 
significative d'énergie à partir de ce phénomène. Il fallait aussi découvrir, du 
côté des corps les plus lourds, les isotopes rares qui, extraits patiemment du 
minerai, pouvaient constituer la « masse critique » d’une réaction explosive.
 
Les scientifiques américains 
craignaient que les Allemands n’y arrivent avant les Etats-Unis, d’où leur 
acharnement au travail. Ils furent tout étonnés par leur propre réussite. 
Oppenheimer s'étonnait d'avoir suscité un phénomène sans précédent dans la 
nature : au coeur de la bombe atomique, la température et la pression sont plus 
élevées qu'au coeur des étoiles. C'est impressionnant, mais moins exceptionnel 
qu'Oppenheimer ne le croyait : les espèces végétales et animales dont l'homme se 
nourrit, ainsi que ses animaux domestiques, ne résultent-ils pas de la patiente 
sélection opérée durant les dernières 12 000 années ? existait-il, dans la 
nature, des matières plastiques avant que l'homme n'en fabriquât ? 
Lorsque ces scientifiques ont 
évalué les conséquences de leurs travaux, ils ont été effrayés. Sera-t-il 
possible, se demandent-ils : 
- de conserver le secret sur ses techniques de fabrication ? (la réponse est 
non : d’autres pays la possèderont, c’est inévitable) ; 
- de se défendre contre une attaque atomique ? (la réponse est non). 
- de se défendre contre des terroristes qui voudraient utiliser la bombe ? (la 
réponse est non, de nouveau).  
En conclusion, est-il préférable de renoncer à l’utilisation civile du 
nucléaire, qui produirait des matériaux utilisables à des fins militaires ? (la 
réponse, mitigée, est plutôt oui). 
Certains de ces scientifiques 
estiment que la seule solution serait de construire un Etat mondial, comme cela 
il n’y aura plus de guerre ! Ou bien de réunir en une seule armée mondiale les 
armées de tous les pays, comme cela il n’y aura plus de nationalisme guerrier ! 
Ou bien de faire adopter par tous les États une loi qui rende illégale la 
détention, et plus encore l’utilisation, des armes nucléaires de sorte que l’on 
puisse traiter les individus qui violeraient cette loi comme des pirates, et les 
mettre au ban de l’humanité !  
On est tenté de sourire de la 
naïveté de ces « savants », incompétents en politique et dont toutes les 
recommandations semblent commencer par « il n’y a qu’à ». Mais n’avaient-ils pas 
raison ? Quand la Realpolitik mène au désastre, ne vaut-il pas mieux 
prendre le risque d’être « naïf » ?  
Depuis 1945 la dissémination de 
la bombe atomique a eu lieu (voir Affaires atomiques) 
: une quarantaine de pays la possèdent et on ne peut pas exclure qu’elle tombe 
entre les mains de terroristes - il est même, du point de vue des probabilités, 
certain que cela se produira un jour. Ce livre, où s’expriment sans précaution 
oratoire les craintes des personnes qui étaient les mieux placées pour évaluer 
leur invention, reste d'actualité.   |