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Aspects économiques de la sobriété

(Sources : Jean-Marc Jancovici, http://www.manicore.com/documentation/serre et http://www.manicore.com/documentation/articles/palais_mai2001.html ; GIEC (Groupe International d’Experts sur le Climat), mis en place par l’Organisation Météorologique Mondiale et le Programme pour l’Environnement des Nations Unies, www.ipcc.ch )

Nous avons parlé ailleurs de l'importance d'une "esthétique de la sobriété" dans les systèmes d'information. Voici maintenant l'aspect économique (et écologique) de la sobriété. 

Les émissions actuelles de gaz à effet de serre sont de 6 Gt/an d'équivalent carbone. La biosphère sait absorber en 3 Gt/an ("  capacité de recyclage ").

Il faudrait donc, pour garantir l’équilibre climatique, réduire les émissions de moitié (les accords internationaux, qui ne parlent que de stabilisation, sont très loin de cet objectif). 3 Gt/an pour 6 milliards d'individus représentent, équitablement répartis, 500 kg/personne*an.

500 kg de carbone par habitant et par an représentent, en ne considérant que le CO2 :
Moins de 10% des émissions d'un Américain
15% des émissions d'un Allemand ou d'un Danois
20% des émissions d'un Anglais
25% des émissions d'un Français
50% des émissions d'un Mexicain
120% des émissions d'un habitant d’un pays pauvre.

Pour produire 500 kg d’équivalent carbone avec les technologies actuelles, il suffit de :

  • un aller-retour Paris- New York en avion,

  • 100 kg de bœuf ou 3 000 litres de lait

  • 3 000 kWh d'électricité en Grande Bretagne,

  • 22 000 kWh en France (moins consommatrice de carbone à cause du nucléaire),

  • 100 à 500 kg de produits manufacturés (soit la moitié d'une petite voiture).

  • 2 tonnes de béton (une maison moderne de 100 m2 en nécessite 17),

  • 850 litres de produits pétroliers (fioul, essence...), soit 4 mois de circulation urbaine en Twingo, et 1 à 2 mois en 4x4 (en ville),

  • 100 m3 de gaz naturel.

Supposons que nous vivions dans un monde " sobre ", respectueux de l’environnement conformément aux intérêts des générations futures. Le tableau ci-dessous présente les divers types d’énergie avec leurs inconvénients.

Type d'énergie

Nature de déchets

nature de la conséquence

ampleur de la conséquence

irréversibilité de la conséquence

existence d'une solution au problème

effet pervers de la solution ?

charbon

CO2

effet de serre

très forte

totale

non

-

pollution locale (SO2 notamment)

pluies acides

forte

moyenne

oui (filtres)

oui : consommation accrue

Cendres

contamination de nappes phréatiques

forte

très forte

oui

oui : augmentation de la consommation

pétrole

CO2

effet de serre

très forte

totale

non

-

Pollution locale (oxydes d'azote, ozone, particules, etc)

impacts sanitaires (hausse de la mortalité et de la morbidité)

moyenne

faible

oui (pots catalytiques, filtres, etc)

oui : augmentation de la consommation

gaz naturel

CO2, fuites de méthane

effet de serre

très forte

totale

non

-

nucléaire

déchets radioactifs

occupation d'espace (pour le stockage)

faible

totale

oui : baisse des quantités produites

probablement pas

hydraulique

emprise au sol, destruction de fonds de vallée

occupation d'espace

faible à forte

forte

non

-

biomasse

concurrence d'utilisation des sols

occupation d'espace

forte

faible (on peut arracher)

oui (procédés naissants)

?

solaire

panneaux & chauffe eaux en fin de vie

occupation d'espace, recyclage

faible

faible

oui (amélioration du recyclage)

?

effet visuel pouvant être négatif

désagrément visuel

faible

moyenne

oui

probablement pas !

éolien

effet visuel pouvant être négatif

désagrément visuel

moyenne

moyenne à forte

oui : efficacité

probablement pas !

bruit

désagrément auditif

moyenne

moyenne à forte

oui

probablement pas !

concurrence d'utilisation des sols

occupation d'espace

moyenne

moyenne à forte

?

?

Quelles ressources utiliser ?

Dans une société sobre, les ressources fossiles ne sont pas consommées. Elles sont responsables de 65 % de l’accroissement de l’effet de serre, et elles sont non renouvelables.

Par contre il est possible de consommer l’énergie solaire, ressource renouvelable à l’infini et qui ne produit pratiquement aucun déchet (à part la fabrication des capteurs). Les surfaces au sol requises sont compatibles avec l’espace disponible. Cette forme d’énergie permettrait aux pays pauvres du Sud - bien exposés au soleil - de se développer sans émettre de gaz à effet de serre.

La Terre reçoit du soleil en une journée 20 fois la consommation énergétique annuelle de sa population.

L’énergie hydraulique est une ressource renouvelable, et n’émet aucun déchet. Par contre elle requiert des infrastructures lourdes et son implantation est traumatisante pour l’environnement. Elle ne peut donc être utilisée que de façon modérée.

La biomasse est renouvelable, mais elle crée une concurrence dans l’usage des sols incompatible avec les besoins actuels, surtout dans les pays en développement. Elle nécessite des traitements intermédiaires consommateurs en énergie et son bilan total est peu intéressant.

Le nucléaire est utilisable dans les société possédant culture et discipline collective. La ressource naturelle est abondante (plusieurs milliers d’années de consommation) ; les déchets produits sont solides, donc confinables (ce qui n’est pas le cas du gaz à effet de serre), et leur quantité par kWh produit peut être diminuée. Cependant il requiert un maîtrise technique et une surveillance très assidue, et il peut constituer une cible tentante en cas de conflit.

Il ne faut pas attendre de miracles de l’éolien. On estime que le potentiel est en France de 50 TWh/an, soit 10 % de la consommation, au prix d’une occupation importante de sites remarquables.

Quelles proportions dans l’utilisation des ressources ?

La France a consommé en 1997 250 Mtep d’énergie (Millions de tonnes d’équivalent pétrole), dont la moitié sous forme d’électricité. Les " meilleures technologies disponibles " permettent de diviser cette consommation par deux sans modifier le niveau de vie (Source : Les défis du long terme , Commission énergie 2010-2020, Commissariat général du Plan), et notamment sans modifier les comportements liés au transport.

France

kep/habitant moyenne 1995

kep/habitant meilleure techno disponible

Commentaires

kg C/habitant meilleure techno disponible (+)

Habitat

845

360

-

170

dont confort thermique (1)

740

300

ens. du parc aux normes bât. neufs

170

dont electroménager

35

25

meilleurs équipements 1995

-

dont produits bruns

70

35

optimisation des systèmes de veille

-

Tertiaire

505

250

-

100

dont confort thermique

415

200

mêmes normes que l'habitat

100

dont usages spécifiques

90

50

optimisation des systèmes de veille

-

Alimentation

360

250

50% de gains sur froid et cuisson

130

Industrie

775

580

-

270

dont production intermédiaire

625

450

eco-prodécés & recyclage

190

dont biens d'équipt & conso

150

130

-

80

Transports (4)

805

450

-

400

dont personnes

490

250

voitures 4 l/100 & 13.000 km/an

230

dont marchandises

315

200

réduction puissance camions, TR...

180

TOTAL

3290

1890

-

1070 (*)

On peut donc imaginer à moyen terme la répartition suivante :

  • le solaire couvrirait 40 à 50 % de notre consommation énergétique (un toit solaire pour chaque bâtiment),

  • la biomasse en couvrirait 5 %,

  • l’hydraulique resterait à son niveau de 15 %,

  • l’éolien pourrait représenter quelques pour cent,

  • le nucléaire fournirait le reste, soit 33 %, en attendant qu’un solaire plus efficace puisse en prendre le relais.

A long terme, la quasi totalité de l’énergie serait fournie par le solaire et ses dérivés, ressource inépuisable, sans effet de serre, robuste (parce que moins dépendante des lignes de transport).

La pile à combustible, dont la production émet du CO2 (à peu près autant que si l’on brûlait le pétrole directement, mais avec un meilleur rendement et aucune pollution locale) pourrait servir de moyen de stockage pour les périodes sans soleil si on la couple à un panneau solaire.

A quoi il faut renoncer

Dans cette économie sobre, nous devons définitivement renoncer à l’énergie fossile, sauf pour quelques usages marginaux.

Nous devons renoncer aussi au transport aérien pour tous, car le transport aérien est très gros consommateur de carburant. Cette restriction peut être levée si l’on trouve un autre procédé pour la propulsion des avions (piles à combustibles ? ). D’une manière générale, nous devons renoncer au déplacement rapide, à volonté et pas cher. Se déplacer vite consomme beaucoup d’énergie. Il faudra utiliser le train et le bateau pour les déplacements lointains (qui deviendront plus lents), le métro, le bus et quelques automobiles partagées en zone urbaine, des voitures électriques en zone rurale, des moyens non motorisés pour les déplacements de proximité.

L’urbanisme devra s’adapter à une vie peu riche en transport. Les villes seront plus denses (Newman et Kenworthy, Cities and automobile dependance, Gower, 1989), de façon à réduire la distance moyenne d’un parcours. Le télétravail sera plus fréquent. On renoncera aux hypermarchés de périphérie, qui exigent beaucoup de transport.

On réduira la consommation des matériaux de base de l’industrie (acier, verre, plastique, ciment) dont la production absorbe 80 % de la consommation énergétique de l’industrie. Leur prix relatif, ainsi que celui des produits jetables, devrait augmenter.

La construction devrait recourir à des matériaux locaux (pierre, bois). Le chauffage l’hiver, la climatisation l’été devraient devenir plus sobres.

Il faudrait manger moins de viande (la production d’une tonne de bœuf suscite l’émission de 6 tonnes d’équivalent carbone et il faut 20 000 à 100 000 litres d’eau pour produire un kg de viande avec des céréales venant de cultures irriguées).

Quelles conséquences économiques ?

Cette économie sobre offrira plus d’emplois, car les taxes se déplaceront du travail vers l’énergie (Cf. " La Jaune et la Rouge " d’avril 1998, dossier " Fiscalité et environnement "). Elle sera moins bruyante, la pollution par le bruit étant essentiellement causée par la consommation d’énergie (moteurs). Elle comportera moins de pollution locale, essentiellement provoquée par la consommation de l’énergie fossile.

Les encombrements de la circulation seront réduits, en raison de la réduction des transports. Le " stress " que suscite l’activisme et la précipitation sera réduit : on " prendra son temps "… d’où une réduction des dépenses de santé, favorisée également par un meilleur exercice physique.

La production d’électricité sera décentralisée, grâce à l’utilisation de l’énergie solaire ; les communications via les réseaux de télécommunications se substitueront pour partie aux déplacements des personnes.

Les transports en commun seront davantage utilisés. L’emploi du temps quotidien de chacun sera modifié.

Quelles orientations politiques ?

La politique économique devra renoncer à certains de ses slogans actuels :

On ne pourra pas :

  • " libéraliser l’énergie électrique ", car les productions marginales sont faites avec des centrales à gaz ou à charbon qui sont les moins chères à l’achat (il est vrai toutefois que le recours local à l’énergie solaire représente une forme radicale de libéralisation). On ne pourra plus dire que l’on va " renoncer au nucléaire à moyen terme ", car à cela signifierait un accroissement du recours à l’énergie fossile. A long terme, par contre, ce sera possible.

  • " réduire les prix de l’énergie ", qui sont déjà trop bas.

  • " encourager le transport aérien ", dont il faut au contraire contenir la croissance.

  • " construire des routes (ou des autoroutes) ", car il vaudra mieux encourager le transport par le rail dont l’efficacité énergétique est 4 fois supérieure à celle du camion, trois fois supérieure à celle de la voiture individuelle.

  • " encourager la périrubanisation ", car elle est contradictoire avec la nécessaire densification des villes.

  • " encourager le tourisme lointain ", consommateur de transport en avion.

  • " faire croître le volume de la consommation de biens matériels " : la croissance des volumes consommés ne pourra pas se prolonger selon la tendance exponentielle actuelle.

  • " encourager l’élevage ", car la production de viande figure parmi les causes importantes de l’effet de serre.

  • " négliger les pays pauvres " : si nous ne les aidons pas à se développer, il le feront en utilisant les technologies les moins chères, qui sont aussi les plus consommatrices d’énergie fossile.

On devra :

  • " accroître l’emploi dans les services, le diminuer dans l’industrie ", ce qui ne sera que le prolongement de la tendance constatée,

  • " améliorer la gestion des transports " : les activités de logistique devraient se développer,

  • " recréer des stocks " en faisant disparaître les flux tendus,

  • " avantager l’économie locale des biens pondéreux " au détriment du commerce international,

  • " pénaliser le commerce de périphérie au bénéfice du commerce de centre ville ",

  • " avantager les petites entreprises par rapport aux grosses multinationales ", qui sont aussi de grosses consommatrices de transport,

  • " avantager les installateurs de dispositifs personnels par rapport aux réseaux centralisés " (panneaux solaires, piles à combustibles etc.)

  • " avantager le bâtiment et désavantager les travaux publics ",

  • " avantager l’informatique ", car il faudra davantage d’ordinateurs et de réseaux.