RECHERCHE :
Bienvenue sur le site de Michel VOLLE
Powered by picosearch  


Vous êtes libre de copier, distribuer et/ou modifier les documents de ce site, à la seule condition de citer la source.
 GNU Free Documentation License.

Commentaires sur :

John von Neumann, The Computer and the Brain, Yale Nota Bene 2000

18 mai 2002

C'est le dernier ouvrage de von Neumann ; miné par le cancer dont il est mort en 1957, il n'a pas eu le temps de l'achever. C'est grand dommage, car il lui accordait beaucoup d'importance.

Von Neumann était arrivé à l'informatique à partir de la physique : il se servait de l'ordinateur pour résoudre par le calcul des problèmes trop complexes pour être traités autrement. C'est lui qui, avec Church et Turing, a conçu les ordinateurs dont nous nous servons aujourd'hui. Certaines de ses réflexions sont à l'origine de l'intelligence artificielle. L'examen du fonctionnement du cerveau humain lui a été utile : tout comme le cerveau, l'ordinateur est doté d'une mémoire, d'une capacité de traitement et d'organes sensoriels (entrées et sorties). 

Certains ont poussé cette démarche de recherche jusqu'à affirmer qu'entre l'ordinateur et le cerveau humain il n'existe pas de différence de nature. Mais le cerveau, être biologique, progresse à l'échelle des dizaines de milliers d'années, alors que l'ordinateur, être artificiel, progresse à l'échelle de la dizaine d'années. Ils en ont conclu que l'ordinateur avait vocation à supplanter le cerveau humain ; Truong est allé jusqu'à dire que le logiciel serait le successeur de l'homme, et à s'en féliciter.

L'identité de nature entre l'ordinateur et le cerveau et l'être humain est une hypothèse irréfutable même si l'expérience d'aujourd'hui la contredit, car il se peut qu'une expérience future la confirme : "Comment pouvez-vous affirmer, dit-on, que l'ordinateur sera à jamais incapable d'avoir des émotions, de se comporter comme un être humain ?" En effet, rien n'autorise à l'affirmer ; mais, hypothèse pour hypothèse, n'est-il pas plus fécond de postuler qu'il existe entre l'ordinateur et le cerveau humain une différence de nature ? Cette dernière hypothèse à plusieurs avantages : d'une part, elle est conforme à l'expérience présente : aucun ordinateur existant ne se comporte comme un être humain ; en outre, elle indique à l'action une piste féconde : si l'ordinateur et l'être humain sont différents, il importe d'examiner comment ils peuvent s'articuler ; enfin, elle fournit à la pensée le cadre utile pour préparer cette action : il est possible de penser l'articulation de deux êtres différents, alors qu'il est impossible ou très difficile de penser une articulation entre deux êtres identiques.

Von Neumann a perçu les limites de l'analogie entre l'ordinateur et le cerveau humain. Le mécanisme du cerveau est plus lent et plus sujet à l'erreur que celui de l'ordinateur ; par contre, sa structure est plus complexe. Il met en oeuvre des processus parallèles, il analyse les signaux de façon statistique (notamment en évaluant des corrélations), ce qui lui confère en fait une grande rapidité et une grande fiabilité. En outre sa mémoire, qui utilise une grande diversité de supports, semble pratiquement infinie même si notre mémoire consciente est, à chaque moment, limitée.

Ainsi l'héritage génétique nous aurait doté d'un automate naturel dont les capacités sont différentes de celles d'un ordinateur ; notre cerveau lui est supérieur pour certaines fonctions (interpréter, synthétiser, comprendre, expliquer, décider), inférieur pour d'autres (classer et retrouver une information, calculer, recopier, transcoder). La question pratique à laquelle nous sommes confrontés, ce n'est pas de mettre au point un ordinateur dont le comportement ne diffèrerait en rien de celui d'un être humain - but vraisemblablement hors de portée et en tout cas très éloigné de nos priorités présentes - mais de réaliser efficacement l'articulation entre l'"être humain organisé" (car bien sûr il ne suffit pas de considérer un seul cerveau, il faut considérer l'entreprise entière, et même la société entière avec ses institutions) et l'"automate programmable doué d'ubiquité" (forme que l'ordinateur a prise grâce au réseau).

Pour cela, il faut concevoir clairement en quoi l'ordinateur et l'être humain se distinguent. La méditation de von Neumann est instructive. Il est - mais nous nous en doutions déjà - beaucoup plus intelligent que ses épigones.