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Commentaire sur :
Frances A. Yates, The Art of Memory, Pimlico 1966

23 décembre 2003


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- A propos de la magie

Le contenu de la mémoire ne se réduit pas à ce que nous savons « par cœur ». C’est dans notre mémoire que s’accumulent les souvenirs, les habitudes, les références qui structurent notre personnalité. Savoir organiser sa mémoire, c’est donc aussi savoir penser.

Frances Yates décrit comment cet art a évolué depuis les Anciens jusqu’à la fin de la Renaissance. Les Grecs avaient inventé une technique qui consiste à associer, à chacune des idées ou des mots que l’on souhaite retenir, une image mentale située dans un espace architectural lui-même imaginaire. Cette technique fut recueillie par les Romains, notamment par Cicéron qui s’en servait pour classer ses idées et les retrouver lors de ses discours.

Oubliée pendant les invasions barbares, elle fut redécouverte par les scholastiques qui s’en servirent pour classer les définitions des vices et des vertus, par exemple Thomas d’Aquin (1228-1274) ; puis, à l’aube de la Renaissance, elle fut enrichie de considérations magiques : si les idées étaient classées selon un ordre conforme à l’ordre divin, leur exposé devait pensait-on acquérir une efficacité pratique.

Les ambitions de la magie s’appuyaient sur les écrits d’Hermès Trismégiste, identifié alternativement au dieu Thot, au pharaon Akhenaton ou à Moïse. Situé vers 1 500 avant JC, on voyait en lui un précurseur de Platon. Mais l’influence de ses écrits s’effondra en 1610 lorsque le linguiste Isaac Casaubon (1559-1614) démontra qu’ils avaient été rédigés dans l’Alexandrie grecque des IIe ou IIIe siècles après JC. Cependant elle avait été profonde. Ainsi Hermès Trismégiste dit que le Soleil est au centre du monde et que la Terre est vivante : Copernic y trouva l’aliment de son intuition. Il dit aussi que Dieu réside au cœur de l’homme : cela facilita le passage de la conception médiévale de l’homme, faible et écrasé par son destin, à celle de l’homme de la Renaissance, hardi et inventif.

La fusion entre l’art de la mémoire et la magie fut l’œuvre de Giordano Bruno (1548-1600), dominicain condamné par l’inquisition à périr sur le bûcher. Cependant le livre imprimé avait apporté à la mémoire un soutien artificiel et bon marché ; par ailleurs un humaniste comme Érasme préférait classer ses idées selon un ordre déductif, rationnel, plutôt que selon un ordre fixé dans l’imagination. L’art de la mémoire, si longtemps cultivé, finit par disparaître.

Frances Yates a dépouillé les nombreux traités et manuels qui avaient été consacrés à cet art. Elle dit ce qu’elle en a compris, elle signale avec beaucoup de simplicité les limites de sa compréhension, elle indique des pistes pour les recherches ultérieures. Elle décrit de l'intérieur des structures de pensée qui se sont succédé dans l'histoire. Son livre est fascinant et attachant.

NB : Gallimard a publié en 1987 une traduction en français sous le titre « L’art de la mémoire ».