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L'alternance

11 juillet 2002

François Mitterrand a rendu en 1981 un grand service aux Français : en restaurant l'alternance il leur a rappelé qu'ils pouvaient, lors d'une élection, changer de majorité. 

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Depuis 1958, le pouvoir avait été détenu par les mêmes. Libéraux et gaullistes se détestaient mais ils se partageaient les ministères et les places. Cette France officielle ignorait la part la plus jeune et la plus active de la population, qui votait "à gauche". La droite prétendait détenir le monopole de la légitimité gouvernementale, de la compétence directoriale, du sérieux, de la responsabilité. Dans les entreprises, les administrations, les dirigeants manifestaient une ironie condescendante envers les gens de gauche, ces idéalistes qui ne faisaient pas carrière.

En 1981, la légitimité bascule. Les manifestants d'hier deviennent ministres. Les militants qui distribuaient des journaux de gauche à la porte de leurs administrations deviennent directeurs. Panique ! les capitaux émigrent. Nos amis américains, aisément déconcertés par la France, la croient devenue un "pays socialiste". 

J'ai vu l'arrivée des "gens de gauche" dans les cabinets ministériels, dans des bureaux jusqu'alors occupés par des "gens sérieux", "de droite". Quelle griserie... Les hôtels particuliers ! les dorures ! le mobilier national ! le respect des huissiers à chaîne ! le salut des gendarmes de garde ! les voitures avec chauffeur ! les escortes de motards ! les "textes" que l'on pondait et qui devenaient la Loi ! et les à-côtés sensuels du pouvoir... 

Ceux qui avaient connu les mairies ou les conseils généraux gardaient leur calme, mais les autres perdaient un peu la boule. De généreux militants devinrent en quelques semaines des apparatchiks, toute humanité évaporée. Les coteries, qui avaient toujours existé au PS, devinrent plus agressives avec la montée des enjeux. On n'était plus "de gauche" ni "socialiste", mais mitterrandiste, rocardien, fabiusien, chevènementiste, mauroissien etc. Les ministres se disputaient l'annonce des "mesures" censées apporter un "effet d'image" à leur clan ou à leur personne. Ils étaient poussés à l'intrigue par ceux qui les suivaient pour faire carrière, c'est-à-dire devenir préfet, directeur d'administration centrale, recteur, administrateur ou président d'entreprise, bref faire l'important : à leur tour, les gens de gauche étaient atteints par ces ambitions médiocres dont la griffe de Stendhal a fait saigner le ridicule.

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A ceux qui n'ont pas l'expérience du pouvoir, sa première rencontre apporte une ivresse qui fait zigzaguer. A la générosité sociale de 1981 et 1982 succéda donc en 1983 l'austérité. On devint pingre, on se rengorgea en singeant le "sérieux" de la droite, on défendit bientôt le Franc comme s'il fallait surtout préserver la valeur de l'épargne liquide. Les capitaux avaient eu tort de s'effaroucher : à l'ancienne droite succédait une droite nouvelle dont seul le vocabulaire conservait trace de la "gauche" de jadis. Une telle palinodie ne pouvait s'assumer que dans la confusion des idées ou le cynisme : ni l'un ni l'autre ne firent défaut (cf. Le penseur et le politique). Le pouvoir, devenu aussi abstrait qu'une volupté, n'avait plus d'autre but que sa propre pérennité. On trouvera dans "crise de système" une description du mode de gouvernement qui en résulta. Caricature ? je le concède. Mais elle n'est que trop ressemblante. Il faut cependant nuancer pour tenir compte du mélange des caractères qui font le charme énigmatique et exaspérant de la France, royaume de la diversité (cf. "L'ingénieur et le petit marquis").

Les gouvernants "de gauche" et certains chefs d'entreprise ont commis des erreurs parallèles. "Je dois faire en sorte de gagner les élections", disaient les uns ; "je dois faire en sorte de faire monter le cours des actions", disaient les autres. Dans les deux cas, la décision s'attachait à l'opinion ; or celle-ci est versatile, sujette à des emballements que les médias se plaisent à déclencher. Elle ressemble à ces personnes capricieuses qui exigent qu'on leur obéisse, mais tiennent rigueur à celui qui les aura prises au mot. 

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L'une des analyses les plus pénétrantes des dernières élections est celle de Lorrain de Saint-Affrique qui fut conseiller en communication de Le Pen avant de devenir un des critiques les mieux informés du Front National. Il dit que les électeurs ont utilisé Le Pen "comme un bélier" pour défoncer le système, et qu'ensuite ils l'ont jeté "comme un kleenex". 

Cinq ans, c'est long pour un pays mais court pour une carrière d'homme politique. La droite, largement élue, doit savoir qu'elle a un revolver sur la tempe : dans cinq ans, si elle ne s'attaque pas aux problèmes de fond, si elle est trop médiatique, si elle n'écoute pas, l'alternance ramènera la gauche au pouvoir. Celle-ci sera à son tour soumise à la même contrainte. Les Français feront valser les majorités jusqu'à ce qu'ils aient obtenu le système politique qui leur convient. 

On dirait cependant que la droite utilise les mêmes méthodes que la gauche. Il paraît que les "mesures" prises pour favoriser l'emploi des jeunes sans qualification (SMIC garanti, exemption des cotisations sociales pour les employeurs etc.) ont été prises sans avoir consulté les employeurs : c'est du moins ce que dit le Medef, et si c'est vrai le Medef a raison de protester.