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Qualité de service : la boucle locale du réseau téléphonique

20 décembre 2006

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Pour lire un peu plus :

- Qualité de service et service public

-
Pour une économie de la qualité
- e-conomie
- Bon vent pour France Telecom !

Nota Bene : Si l'on clique sur l'une des photographies qui illustrent cette fiche, on la recevra en haute définition (taille du fichier : de l'ordre de 2,5 Mo).

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Les directions générales vivent loin du terrain. Lorsque je dis à mes amis de France Telecom ce qui se passe dans les Cévennes, ils tombent du ciel. Certes un témoignage isolé n’est pas significatif, pourtant rien n’est plus instructif qu'un cas concret et précis : alors en voici un.

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Les hameaux de mon village sont desservis par des lignes téléphoniques aériennes qui, formant d’élégantes chaînettes, courent d’un poteau à l’autre. Heureusement les câbles sont solides : ils passent à travers les branches des arbres et, parfois, un arbre vient s’appuyer sur eux. En voici un exemple à gauche, puis ci-dessous un autre exemple plus spectaculaire (ce « spectacle » dure depuis trois mois). Visiblement, l’état de ces lignes n’est pas contrôlé attentivement.  

 

 

Parfois la ligne traverse la route sans qu’aucun panneau n’indique de hauteur limite aux conducteurs de camions et d’engins de travaux publics : il peut donc arriver, s’ils sont inattentifs, que le câble soit coupé.

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C’est sans doute ce qui s'est produit le 5 décembre vers 17h00 : plus de téléphone, plus d’ADSL dans le hameau. J’appelle le 1013 le 6 décembre matin et indique qu’il se trouve, parmi les habitants du hameau, une infirmière et deux télétravailleurs sur ADSL. Réponse : « ça ne sera pas réparé avant trois jours ».

 

Un entrepreneur passé par là avec sa camionnette nous dit que le câble est coupé entre Montredon et La Felgère sur la départementale 231a. J’y vais, prends la photo ci-contre et rappelle le 1013 pour indiquer l’emplacement de la coupure.

 


 

Il a fallu deux jours pour qu’une réparation provisoire soit faite, le 8 décembre à 17h00 : un bout de câble a été inséré et connecté aux deux bords de la coupure. Les connecteurs étaient à l’air.
 

 

 

 

 

 


Ça a marché... jusqu’à ce qu’il pleuve : des gouttelettes d’eau se sont alors accumulées sur les connexions (photo ci-dessous) et la tonalité du téléphone a disparu. La ligne ADSL, par contre, a continué à fonctionner : je soumets ce phénomène à la sagacité des ingénieurs.


La ligne a été enfin réparée le 20 décembre par une entreprise. Pendant douze jours, ce bricolage est donc resté en place. La tonalité revenait quand il faisait beau et disparaissait quand il pleuvait. Que se serait-il passé s’il avait neigé ?

Pendant ces douze jours les habitants du hameau ont appelé et rappelé le 1013 : le temps d’attente est long, la communication depuis un téléphone mobile est payante.

*     *

Lors des réunions à Paris je rencontre des amis de France Telecom et, je le répète, ils tombent du ciel quand je dis ce qui se passe sur le terrain. Certes ils me croient, mais ils ne « réalisent » pas. Ils disent : « c’est la politique maison, on sous-traite tout à des entreprises, la qualité de service s’est évanouie. Nous le déplorons mais la direction ne veut rien entendre ».

Les télécoms ne sont pas les seules à se dégrader : la SNCF aussi marche mal. Entre les pannes, les grèves et les retards, la correspondance à Nîmes avec le TGV pour Paris n’est assurée depuis notre gare qu’une fois sur deux environ. EDF et la Poste ont conservé une qualité de service convenable mais « ça ne va pas durer, disent mes amis d’EDF et de la Poste, chez nous aussi la direction a décidé de sous-traiter le travail sur le terrain ».

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Ces grandes entreprises n’ont donc rien compris à l’économie contemporaine (voir e-conomie). Elles ne voient pas que plus on automatise, plus on est « cyber », plus il faut être attentif à la qualité du service sur le terrain. Avoir des centres d’appel informatisés, une supervision du réseau, des automates, c’est bien joli mais si vous confiez à des sous-traitants les interventions sur le terrain et la relation avec le client, et si vous ne contrôlez pas attentivement ce qui se passe, le service se dégradera.

Or plus on développe le « cyber » (par exemple, plus on s'engage dans le commerce électronique), plus il faut intensifier la relation interpersonnelle. En effet, le « cyber » suscite une diversification extrême des produits (biens et services) et en outre, dans chaque produit, une diversification de ses fonctionnalités. Le consommateur a donc besoin d'être aidé pour (1) trouver la variété du produit qui lui convient ; (2) savoir comment utiliser le produit ; (3) bénéficier d'un service après vente qui l'aide à se maintenir à l'état de l'art et règle sans délai les incidents.

La relation interpersonnelle peut emprunter la messagerie, la communication avec un centre d'appel (encore faut-il que ses réponses soient judicieuses et le délai raisonnable), mais assez souvent elle exige le face à face qui seul procure la « largeur de bande » nécessaire au dialogue.

Cette exigence a des conséquences sur la relation entre le « cyber » et la répartition de l'emploi sur le territoire, ainsi que sur la qualification des personnes que l’on met en face des clients.

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Les entreprises qui préfèrent faire des « économies » en automatisant la relation avec le client se dégradent et parfois elles se ridiculisent : certains des dépliants publicitaires de France Telecom sont incompréhensibles même pour ses ingénieurs. Si un client les lit, c’est un héros, s’il les comprend c’est un génie. Les anglicismes vulgaires qui parsèment sa communication n’arrangent rien (Business Everywhere, Mail Premium, Transfer Mail, Flotte on line etc.).  

Par ailleurs la plupart des consommateurs, partis à la chasse au moindre prix, sont peu conscients de la composante qualitative de leurs besoins. Il en résulte un blocage de l'économie dans une situation sous-optimale, un déséquilibre analogue à celui que Keynes a diagnostiqué dans les années 30 (voir Pour une économie de la qualité). Il faudra, pour sortir de ce blocage, un effort d’une ampleur analogue à celle de la révolution keynésienne.

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Des économistes disent que l’important, c’est la finance, la « création de valeur » pour l’actionnaire. Considérer la production et la qualité de service qui en est une composante essentielle, ce serait « ringard ». Certains (André Orléan, Pierre-Noël Giraud) ajoutent que la « valeur de l’entreprise » (expression qui dans leur bouche désigne sa capitalisation boursière) est une affaire d’opinion et que l’opinion obéit à des mécanismes de mode qui n’ont aucun rapport avec les « fondamentaux » que sont la production, la qualité du service, la qualification des salariés etc.  

Je suppose que si sa ligne téléphonique était coupée, chacun de ces économistes oublierait ses théories pour émettre une rouspétance parfaitement terre-à-terre. La capitalisation boursière de France Telecom lui paraîtrait, sur le moment, infiniment moins importante que le sérieux professionnel, la rapidité d’intervention et la ponctualité du technicien qui réparera sa ligne.

Certes une exaspération ne suffit pas pour invalider une théorie, fût-ce l'exaspération du théoricien lui-même. Mais lorsque la publicité d'une entreprise est incompréhensible, sa communication vulgaire, ses centres d'appel peu efficaces, sa qualité de service dégradée, comment peuvent évoluer et l'opinion, et la mode ? Dira-t-on encore qu'elles sont indifférentes aux « fondamentaux » et qu'ils n'ont aucune importance ?