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A propos de la baisse du dollar

29 février 2004


Liens utiles

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Les institutions contre l'intelligence

Les dirigeants, les directeurs financiers s’inquiètent de la baisse du dollar. « Nos entreprises deviennent moins compétitives par rapport aux entreprises américaines ; nous perdons des parts de marché, l’activité et l’emploi en souffrent ».  Des communiqués de conseil d’administration ou d’assemblée générale font état de la perte de chiffre d’affaires et de résultat provoquée par la fluctuation du change ; le président d’une grande entreprise aéronautique envisage de délocaliser ses unités de production si l’euro reste longtemps encore au-dessus de 1,20 dollar.

Tout se passe comme si les directions générales, voire les directions financières, ignoraient l’existence des outils de couverture de change : elles ne semblent comprendre ni leur utilité, ni leur mode de fonctionnement[1].

Comment cela fonctionne-t-il ?

La « couverture » est un service vendu par les banques à un prix qui varie, selon la méthode utilisée, de pratiquement zéro (change à terme) à 5 % (option de change). « Se couvrir » efface l’effet des fluctuations du change sur les prix : le prix en dollars ne sera pas accru si le cours du dollar exprimé en euros baisse et l’entreprise percevra, en contrepartie de la vente, autant d’euros qu’auparavant.

Supposons qu’une entreprise couvre aujourd’hui, via une vente à terme,  un règlement en dollars qu’elle recevra à la date D. Tout se passe alors comme si la banque empruntait aujourd’hui ce montant en dollar et le vendait contre euro au cours de change du moment ; puis elle placerait l'euro sur le marché monétaire tout en payant corrélativement l'intérêt sur l’emprunt en dollar : cette opération lui coûterait (ou lui rapporterait) un différentiel de taux. Ensuite, à la date D, elle livrerait l'euro pour rembourser l’emprunt en dollar, l'opération lui rapportant une petite rémunération correspondant à la marge (de l’ordre de 1 pour 10 000) prise sur la vente initiale de dollar et sur la fixation des taux d’intérêt.

Ce schéma théorique est remplacé en pratique par le marché interbancaire du change à terme où cambistes et entreprises échangent des cours à terme (cours au comptant + écart de taux d'intérêt) via des opérations hors bilan. En général les entreprises conservent leur couverture jusqu'au terme (à la réception des devises), tandis que les banques se retournent immédiatement sur le marché avec si possible un léger bénéfice égal à la marge évoquée ci-dessus.

Tout cela est très simple pour le professionnel qui le pratique chaque jour, mais reste bien sûr quelque peu opaque pour ceux qui n’en ont pas l’habitude. La conclusion est cependant limpide : l’entreprise peut établir, grâce à la couverture, une cloison étanche entre ses comptes et les fluctuations du change.

L’ignorance

Cependant, et d’une façon surprenante, certaines entreprises industrielles hésitent à se couvrir, ou ne se couvrent qu’à court terme (6 mois, un an) alors que les fluctuations du change portent plutôt sur le long terme (5 ans). Pourquoi cette hésitation ? Parce que, disent-elles, « se couvrir, ce serait spéculer ».

Dans l’AGEFI du 2 décembre 2003 M. Yann Delabrière, directeur financier de PSA, a ainsi déclaré qu’il préférait « ne pas couvrir à l’avance des opérations futures, car cela correspondrait à une politique de spéculation risquée ». Cette phrase consternante exprime la conviction de nombre de directeurs financiers des grands groupes français.

Elle est à l’exact opposé de la vérité : se couvrir, c’est en réalité réduire l’effet des fluctuations du change sur les comptes, et donc se protéger contre une évolution défavorable sans pour autant se priver (moyennant les options de change) des plus-values que procurerait une évolution favorable. Ne pas se couvrir, c’est  refuser de s’assurer alors que le coût de la prime est minime en regard du risque encouru.

Pourquoi des directeurs financiers énoncent-ils de telles contrevérités ? Parce que dans la sociologie d’une entreprise industrielle, qui se méfie de la finance autant qu’elle l’ignore, agir en matière financière serait « spéculer » alors que ne rien faire c’est « ne pas spéculer ». Le directeur financier soucieux de son image hésitera donc à se couvrir, même s’il sait qu’il faudrait le faire. Certains, il faut le reconnaître, ne le savent pas : il semble que la compétence en matière financière ne soit pas le critère principal lorsque l'entreprise choisit son directeur financier. 

Tenir compte du risque de change dans l’évaluation

Du point de vue économique, se couvrir contre le risque de change réduit la volatilité du résultat ; cela équivaut, en termes d’arbitrage entre rendement et risque, à accroître le résultat. Et une mauvaise gestion du change aboutira toujours, un jour ou l’autre, à la dégradation du résultat.

Il serait utile qu’un paragraphe du rapport financier annuel (par exemple celui consacré aux engagements hors bilan) décrivît la stratégie de couverture. Il préciserait les devises concernées, les montants de ventes ou d’achats correspondants ainsi que – point essentiel – l’horizon de la couverture. Ainsi les analystes pourraient évaluer la stratégie « change » de l’entreprise. Une entreprise qui ne couvrirait que son chiffre d’affaire commandé, ou qu’un flux prévisionnel à six mois ou un an, serait ainsi à classer dans le rouge sous le thème « vulnérabilité face aux fluctuations des devises ».


[1] Il existe pourtant des entreprises de conseil spécialisées comme le Cabinet JRL , dont le responsable est Joseph Leddet (jrl90@wanadoo.fr ).