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Manque de courage (suite)

17 janvier 2003


Liens utiles

- Manque de courage
- A propos de l'antisémitisme
- Encore l'antisémitisme

Le conseil de l'université Paris VI a voté une motion demandant à l'Europe de suspendre la coopération avec les universitaires israéliens. Paris VI aurait pu viser d'autres pays : la Russie, à cause de la guerre en Tchétchénie ; les États-Unis, parce que leur président veut faire la guerre - demain à l'Irak, après-demain à la Corée, puis à on ne sait qui ; la Grande-Bretagne, parce qu'elle soutient les projets guerriers de Bush. 

Jussieu, dont le prestige intellectuel brille autant que son architecture, aurait ainsi boycotté Stanford, Berkeley, Harvard, Princeton, le MIT, Oxford, Cambridge, Eton, Moscou, Saint-Pétersbourg etc. Sans doute ils ne s'en seraient pas remis. Mais non : modeste ou prudent, Jussieu n'a pris pour cible que les Israéliens.

Jussieu aurait pu dire qu'il faut que chacun puisse vivre en paix dans son pays, que chacun respecte l'autre ; il aurait pu dire son soutien à ceux des Israéliens qui s'opposent à la politique d'Ariel Sharon, à ceux des Palestiniens qui réprouvent les attentats. Mais non ; il a fallu qu'il prenne parti contre Israël. 

Il dira que l'on peut critiquer la politique du gouvernement israélien sans tomber dans l'antisémitisme, et c'est vrai - de même, on peut critiquer la politique du président des États-Unis sans tomber dans l'antiaméricanisme. Mais le caractère sélectif de son indignation est troublant.

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A l'exception de quelques rares intellectuels, la plupart des Français conçoivent les études non comme le moyen d'une formation personnelle mais comme l'escabeau de la promotion sociale. Ils font donc des études pour obtenir le diplôme qui donnera accès à une situation, non pour acquérir des connaissances auxquelles ils s'intéressent. Ce système a contribué, c'est vrai, à donner une place à l'aristocratie du diplôme à côté des aristocraties de l'argent et de la naissance. Il a toutefois perdu une part de son pouvoir de promotion lorsque est arrivé une nouvelle aristocratie, celle des médias. Il fut voué à l'étouffement le jour où on l'a "démocratisé", où par souci d'égalité on y a engouffré tout le monde, car dès lors il ne pouvait plus remplir le rôle de sélection pour lequel il avait été conçu. La crise de l'enseignement vient de là. 

Ce que je dis là vous choque ? c'est normal car on nous a élevés dans le respect de ce système. Le lien entre le statut social et le diplôme a poussé des jeunes gens que les études ennuient à s'entasser dans des facultés où ils n'ont rien à faire ; il a poussé à prostituer les mathématiques en en faisant un instrument de sélection, notamment pour les études de médecine ; à enseigner les sciences expérimentales, selon un étrange contre-sens, de façon théorique et dogmatique. Une fois le diplôme en poche la curiosité intellectuelle s'éteint chez la plupart, mais le diplômé regarde avec condescendance l'artisan et le paysan, l'entreprise dédaigne le savoir-faire du technicien. Theodor Zeldin a bien décrit cette hypocrisie dans Histoire des passions françaises

Dans la culture juive, par contre, la connaissance est recherchée pour elle-même. Contrairement à une opinion répandue la personne la plus respectée n'est pas la plus riche mais la plus savante, fût-elle pauvre. Il s'agit de connaître la Torah, d'approfondir sa lecture, de méditer ses commentaires ; et Dieu s'exprimant par sa création (Deus sive Natura, disait Spinoza), il faut aussi connaître la nature. Cette démarche ne cherche pas un dogme sur lequel se reposer : elle constitue un processus de perfectionnement personnel sans fin.

La culture juive est ainsi, depuis des millénaires, une civilisation de la lecture approfondie et de la réflexion ; son but est non de faire carrière mais de perfectionner l'humanité qui réside en chacun. Cette civilisation fut vécue et transmise par des personnes soumises jusqu'à la Révolution à un statut discriminatoire : quelle grandeur, quelle noblesse dans leur persévérance !

Lorsque l'économie a réclamé dans la seconde moitié du XIXème siècle des salariés formés à la lecture, l'écriture et le calcul, les études sont devenues un moyen de promotion sociale. Ceux que la civilisation juive avait formés se sont trouvés naturellement placés au premier rang. Ils ont fait certaines des plus grandes découvertes scientifiques. On les a crus plus intelligents que les autres, opinion qu'ils ont parfois eu la faiblesse de partager. Ils se sont attiré des jalousies féroces ; on les a accusés, contre l'évidence, d'être intéressés par l'argent et de se soutenir mutuellement (Spinoza, Cantor, Bergson, Einstein, Marc Bloch etc. ne se sont pas souciés de richesse et ne se sont soutenus que par la qualité de leurs travaux). Vichy a éliminé les enseignants juifs (loi du 3 octobre 1940) sans que les Allemands aient fait pression (voir "A propos de l'antisémitisme") : ainsi se soulageait le ressentiment des médiocres.

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Le même ressentiment s'exprime aujourd'hui sous d'autres formes. Comment expliquer autrement le caractère sélectif de la réprobation envers Israël alors que l'armée russe fait un carnage en Tchétchénie, que les Américains prévoient froidement 500 000 morts en Irak ?

Ce ressentiment est d'autant plus fort que la civilisation juive ne connaît ni la prostitution de l'intellect à la carrière, ni la prostitution de la culture personnelle à la "distinction" sociale. Si nous nous rappelions qu'elle constitue une moitié de l'héritage judéo-chrétien, nous pourrions nous appuyer sur elle pour guérir ces maladies de notre société ; mais celui qui préfère rester malade cherche noise au médecin.