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Hypocrisie

28 mai 2004


Liens utiles

- Rapport du général Taguba
- Annexes du rapport Taguba
- Discours de Al Gore
- Article du New Yorker
- L'Amérique en armes
- Pertes américaines en Irak
- Les élections américaines

- Racines du désaccord entre Bush et Chirac

Monsieur le Président,

Vous envoyez en Irak des soldats auxquels vous avez promis une victoire rapide et l’amour des populations libérées. Mais les choses se passent mal : alors il faut retarder mois après mois leur retour au pays.

Certains de ces soldats, mal formés, fatigués, exaspérés, convaincus par vous qu’ils étaient du côté du Bien, ont maltraité des prisonniers. Les services de renseignement militaires les y avaient incités pour « amollir » ces prisonniers, les rendre « coopératifs », ce qui révèle des méthodes dont ce n'était pas là la première application.

On aurait tort de les excuser en disant « c’est la guerre ». Pendant la guerre d’Algérie le général de Bollardière a montré qu’un authentique guerrier pouvait ne pas être un assassin comme Aussaresses, ni un imbécile comme Massu ou Bigeard – oui, un imbécile car la torture, outre son caractère pervers, est une arme contreproductive au plan stratégique.

Des Irakiens s’étaient plaints de mauvais traitements, un général avait fait un rapport. Vous saviez ou vous auriez dû savoir. Mais cela aurait pu durer longtemps, ni vu ni connu, si votre public n'avait pas reçu en pleine figure des photos qui l'ont scandalisé.

Vous avez alors présenté des excuses, promis des sanctions, mais vous gardez votre ministre de la défense. Vous allez sacrifier quelques boucs émissaires et tout sera dit.

Ce qui a choqué les personnes respectueuses de la Loi, c’est qu’en maltraitant des prisonniers de guerre vos soldats ont violé les conventions de Genève (personne ne s'était d'ailleurs soucié de les leur faire connaître). Mais vous vous étiez déjà mis hors la loi, vous leur aviez donné l'exemple, en inventant la catégorie des « ennemis combattants » et en créant à Guantánamo un centre de détention illégal.

Le christianisme, que vous évoquez si souvent, proclame le respect envers l’être humain et tout spécialement envers le prisonnier : « J'étais en prison et vous êtes venus vers moi » (Matthieu, 25.35).

J'ai le regret de dire que dans cette affaire vous apparaissez comme un hypocrite. Il est équitable cependant de vous accorder une excuse : dans votre pays les prisonniers de droit commun (qui constituent près de 1 % de la population) sont parfois traités comme des animaux, ou pis encore - car personne ne songe à humilier un animal [1].

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, etc.

*  *

Dans toute armée se trouvent des lâches qui prennent plaisir à maltraiter les personnes sans défense. Nous en avons eu notre lot, nous autres Français, lors des guerres d’Indochine et d’Algérie. Nous savons que le Mal, latent en tout être humain, n’attend que des circonstances propices pour se manifester, et qu'il faut une bonne formation morale, de l’expérience et de la volonté pour contenir l’usage de sa propre force.

Mais nous aurions tort de nous ériger en donneurs de leçons car, si des militants et hommes politiques français ont protesté lors de la guerre d'Algérie comme le fait aujourd’hui Al Gore aux États-Unis, je ne sache pas que notre armée ait jamais publié un rapport comme celui du général Taguba.

Cette publication n’efface pas les crimes qui ont été commis. Mais elle montre que l'armée américaine sait constater les faits, fussent-ils déplaisants, puis les porter tels quels à la connaissance du pays.


[1] Voir Bob Herbert, « America’s Abu Ghraibs », New York Times, 31 mai 2004.