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La stratégie négationniste

19 juin 2003


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- Histoire du négationnisme en France

Il devient de plus en plus probable que les preuves présentées George W. Bush et Tony Blair pour justifier la guerre contre l’Irak, qu’il s’agisse des armes de destruction massive ou du soutien apporté par l’Irak à al Quaeda, étaient fallacieuses. Le rapport présenté par les britanniques était le plagiat d’un travail d’étudiant[1] ; la tentative d’importation d’uranium à partir du Niger était attestée par un faux grossier[2].

Cette affaire de faux et de plagiat rappelle Le protocole des sages de Sion, fabriqué en 1907 par un agent de la police russe pour étayer la fable du complot juif mondial[3]. Ce faux a été utilisé par les nazis et, dans des pays arabes, certaines personnes le citent encore comme s’il était authentique[4].

Certes, tout le monde peut se tromper, et d’ailleurs chacun se réjouit de la chute de Saddam Hussein[5]. Mais il n’est pas indifférent que le vote du Congrès ait été extorqué par un mensonge[6].

Sans doute il ne s’agit pas de mensonge intentionnel, car George W. Bush, Dick Cheyney et Donald Rumsfeld disent ce qu’ils pensent avec une évidente sincérité. Mais se mentir à soi-même est pire - et plus dangereux - que de mentir aux autres. C'est du négationnisme au sens étymologique du terme : le négationniste est celui qui affirme, au mépris de l’expérience et des faits, une « vérité » supérieure dont il se sent porteur. La réalité étant ce qu’il a en tête, il juge les preuves contraires sans valeur ou même d’inspiration diabolique. Certains, s'appuyant sur la lettre de la Bible, estiment ainsi que l’évolution des espèces est une fable[7].

Parmi les informations que fournissaient les services de renseignement, les dirigeants américains ont sélectionné celles qui confortaient leurs thèses et négligé les autres. Ils ont insisté auprès des services pour obtenir des informations conformes à leurs préjugés. Les rapports qui prouvaient la fausseté de certains documents ont été négligés[8]. La même stratégie s'applique dans tous les domaines : la Maison Blanche a ainsi censuré un rapport de l'Agence pour la Protection de l'Environnement[9].  

*  *

L’une des fautes les plus graves que puisse commettre un dirigeant politique, c’est d’indiquer aux services de renseignement les conclusions qu’il souhaite leur voir produire, ou pis d’exiger qu’ils les lui fournissent. En 1941, Staline soupçonnait ceux qui lui annonçaient l’attaque allemande d’être des agents britanniques : il fallait du courage pour le contredire !

Celui qui détient la force peut gagner dans les premiers combats. Mais s’il n’a pas l’intelligence de la situation, cette intelligence qui suppose réalisme et modestie, il perdra nécessairement à la longue. Certes on ne peut « changer le monde » qu'à condition d'affirmer, contre les apparences et les habitudes, la légitimité d'un point de vue nouveau ; mais le changement ne peut réussir que si l'on précise l'action en tirant parti des enseignements de l'expérience, aussi contrariants soient-ils. 

La chute d'un dictateur est en soi un événement heureux ; tout le monde souhaite que l’Irak devienne une démocratie ; tout le monde souhaite qu’une paix durable s’instaure entre les Israéliens et les Palestiniens. On ne peut donc que souhaiter le succès des entreprises dans lesquelles s’est lancé George W. Bush. Mais peut-il réussir, alors qu’il avance les yeux fermés, illuminé par une « foi » qui ne garantit aucunement la pertinence de ses décisions ? peut-il gagner sur ce terrain du Proche-Orient ou les plus vigilants ont trébuché ? 

Le simple bon sens oblige à répondre « non ». C’est, je crois, la crainte qu'éprouve Jacques Chirac. On ne peut que la partager, même s'il l'exprime de façon parfois maladroite et inopportune comme lorsqu'il s'est laissé aller à insulter la Pologne. 


[1] Le rapport Iraq - Its Infrastructure of Concealment, Deception and Intimidation, présenté comme un travail des services de renseignement britanniques, plagiait l’étude publiée en septembre 2002 par un étudiant californien.

[2] Voir le mémorandum adressé à George W. Bush par des vétérans des services de renseignement américains, http://www.commondreams.org/views03/0501-09.htm

[3] Pierre-André Taguieff, Le protocole des Sages de Sion, un faux et ses usages dans le siècle, Berg International 1992. Comme le rapport britannique, le Protocole est un plagiat http://www.phdn.org/antisem/origines-protocoles.html. A la charnière des XIXe et XXe siècles, il s'est produit des blagues d'un goût douteux (cf. la vie de Léo Taxil). Ce goût serait-il en train de renaître ?

[4] J’ai vu s’y référer un journaliste de la chaîne Al-Jazira. La série Le cavalier sans monture de la télévision égyptienne s’y réfère également.

[5] A condition cependant que l’affaire se termine bien pour les Irakiens, ce qui n’est pas certain.

[6] « The public was told that Saddam posed an imminent threat. If that claim was fraudulent, the selling of the war is arguably the worst scandal in American political history — worse than Watergate, worse than Iran-contra. » Paul Krugman, « Standard Operating Procedure », New York Times 3 juin 2003

[7] « After the Columbine school shootings, Mr. DeLay called a press conference in which he attributed the tragedy to the fact that students are taught the theory of evolution » Nicholas D. Kristof, « The White House in Denial », The New York Times, 13 juin 2002 (M. DeLay est le chef de la majorité républicaine au Congrès des Etats-Unis).

[8] « The Bush administration's determination to see what it wanted to see led not just to a gross exaggeration of the threat Iraq posed, but to a severe underestimation of the problems of postwar occupation. » Paul Krugman, « Who's Accountable? », New York Times 10 juin 2003

[9] « The Environmental Protection Agency is preparing to publish a draft report next week on the state of the environment, but after editing by the White House a long section describing risks from rising global temperatures has been whittled to a few noncommittal paragraphs (…) The editing eliminated references to many studies concluding that warming is at least partly caused by rising concentrations of smokestack and tail-pipe emissions and could threaten health and ecosystems. Among the deletions were conclusions about the likely human contribution to warming from a 2001 report on climate by the National Research Council that the White House had commissioned and that President Bush had endorsed in speeches that year. White House officials also deleted a reference to a 1999 study showing that global temperatures had risen sharply in the previous decade compared with the last 1,000 years. In its place, administration officials added a reference to a new study, partly financed by the American Petroleum Institute, questioning that conclusion (…) "Political staff are becoming increasingly bold in forcing agency officials to endorse junk science," said Jeremy Symons, a climate policy expert at the National Wildlife Federation. "This is like the White House directing the secretary of labor to alter unemployment data to paint a rosy economic picture." » Andrew C. Revkin, « Report by the E.P.A. Leaves Out Data on Climate Change », New York Times 19 juin 2003