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Remarque d'Isabelle Boydens sur "Modestie ou timidité ?"

25 juin 2001

J'ai été frappée dans un de vos derniers textes par le passage suivant : "Mentionnons ces principes élémentaires pour n'y plus revenir : bien définir les domaines d'action, les processus de production de valeur ajoutée, les "populations" d'entités concernées par ces processus, les "classes d'objets" à utiliser pour décrire ces populations ; organiser les processus de façon à éviter les doubles saisies, les doubles identifications, les connexions répétées à des applications diverses ; éliminer les synonymes et les homonymes ; construire les référentiels (identifiants, définitions des données), et gérer les données de référence, de sorte que la sémantique du système d'information soit maîtrisée... Quelle armée mettrait en campagne des soldats qui ne sauraient ni marcher, ni faire usage de leurs armes, ni distinguer l'ami de l'ennemi, et des officiers qui n'auraient reçu aucune formation à la tactique ? Une entreprise dont le système d'information viole ces principes élémentaires ressemble à une telle armée. "

Je suis étonnée que vous écriviez que la construction du référentiel, l'abolition des homonymes et des synonymes, la maîtrise de la sémantique,... sont des principes élémentaires dont la violation - quoique courante - relèverait d'une "grossière erreur" ! N'est-il pas destructeur, sur le plan méthodologique, de considérer les difficultés sémantiques parfois irréductibles qui se posent dans la pratique comme des questions grossières ou élémentaires ? La construction d'un thésaurus de descripteurs (dans les domaines juridiques ou techniques, par exemple) peut nécessiter plusieurs années-homme et l'on sait, quand on travaille dans ce domaine, que la constitution des champs sémantiques, le traitement des ambiguïtés de langage, des homonymes et des synonymes sont des tâches jamais pleinement achevées.

Une petite phrase aussi triviale que "Jean aime sa femme et moi aussi" peut avoir au moins trois significations distinctes qu'il est impossible de distinguer a priori. Par ailleurs, en raison des glissements de sens, de la distinction entre connotation et dénotation, il est clair que les vrais synonymes sont de plus en plus rares et que la synonymie est rarement transitive. Comment pouvez vous considérer ces questions comme grossières et élémentaires, comme des points sur lesquels il ne faudrait plus revenir ?!

Si l'on s'adresse à des dirigeants d'entreprise ou à des gens qui sont quotidiennement confrontés à de telles questions, il me paraît plus efficace de leur dire la vérité : les difficultés auxquelles vous êtes confrontés ne sont pas triviales ; certaines d'entre elles sont irréductibles et l'harmonisation du référentiel est un objectif jamais pleinement atteint vers lequel toutefois il faut s'efforcer de tendre, en vue de contribuer à l'efficacité d'une entreprise ou d'une organisation.

Ma réponse :

26 juin 2001

Merci pour ces remarques si fines et terriblement pertinentes.

L'erreur grossière ne réside pas dans ce que l'on peut faire en appliquant ces principes, car en effet ils sont fort difficiles à appliquer - de même, une fois qu'une armée sait marcher, se servir de ses armes, Dieu sait si la mise en œuvre de la doctrine tactique est compliquée, puisqu'elle suppose l'adaptation à des circonstances toujours mouvantes. L'erreur grossière, c'est d'ignorer ces principes, de croire qu'ils sont superflus, de ne pas orienter son attention le long des lignes directrices qu'ils procurent, et de ne pas même les appliquer là où cela ne pose aucune difficulté. Bien marcher, c'est très difficile (de même que bien parler, bien lire, etc.) Mais quand quelqu'un marche mal, très mal, et qu'il peut très visiblement améliorer sa marche, on peut le lui dire amicalement, en lui indiquant les principes de la bonne marche.

La mise au point d'un système d'information réclame ce que j'appelle (faute de mieux) la "disponibilité ferme". Il faut connaître les quelques principes structurants qui sont comme la colonne vertébrale sur laquelle on va s'appuyer ; ils sont peu nombreux, simples à formuler, ils ont des implications très riches, et on n'en finit pas de les appliquer. Dans le domaine moral, une phrase comme "il faut être humain" est de ce type : simple à énoncer, infinie par ses implications. 

Puis, une fois armé et structuré par ces principes, on part dans la mise en œuvre ; et là il faut être à l'écoute, disponible, prêt à l'improvisation et à l'adaptation. Il est très délicat de trouver la bonne articulation entre la fermeté et la disponibilité. Quand on dit aux gens "soyez souples", ils comprennent parfois que l'on dit "soyez déstructurés, n'existez plus, n'ayez plus aucun principe, videz vous de toute affirmation". Mais alors comment pourraient-ils agir ? ils deviennent flasques et sans force. La judicieuse articulation de souplesse et de résistance, c'est le sommet de l'art.