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Commentaire de Claude Rochet sur l'opinion "De l'efficacité des bombardements" du 2 mai 1999

27 mai 1999

Je vous suis sur les bombardements sur Belgrade, mais pas sur l'analogie avec l'Allemagne nazie.

En Serbie, il y a une opposition, des médias, c'est un pays moyennement riche, engagé dans une sale affaire et dirigé par une sale type, mais chez lui.

L'Allemagne nazie était un régime totalitaire accompli.

Le sentiment de culpabilité des allemands était inexistant et la mobilisation derrière Hitler totale, tant le mécanisme totalitaire a bien fonctionné.

Les ouvrages qui paraissent sur la nazification de la Wehrmacht sont éclairants: le dernier est celui de Omer Bartov sur les soldats nazis de Hitler.

Il y montre que la structure sociale de la Wehrmacht, basée sur les "groupes primaires" - des groupes fondés sur des affinités sociologiques et provinciales - est détruite dès 1942, après les premières grandes vagues de pertes sur le front russe. La tradition militaire est remplacée par la nazification, qui a fonctionné à plein. Aucun signe de fragilisation idéologique n'apparaît dans la troupe, et ce, jusqu'au suicide de Hitler. Le dernier ouvrage de von Kageneck est des plus troublants: après avoir exposé sa condamnation du nazisme, il éprouve le besoin de faire l'apologie des qualités combattantes de la Wehrmacht, basées sur un professionnalisme qui serait resté à l'abri du nazisme. Kageneck déclare avoir fait cet ouvrage sous la pression de l'opinion publique allemande contemporaine qui refuse que l'on assimile les déserteurs de la Wehrmacht aux soldats qui "ont fait leur devoir". L'engagement dans la Wehrmacht était ainsi le dernier refuge contre le régime! C'était sans doute vrai au début, mais la machine nazie a montré toute son efficacité en transformant d'anciens opposant en fidèles soldats de Hitler (voir notamment l'étude de Christopher Browning sur le 101 bataillon de police en Pologne). Il n'y a que dans l'ancienne aristocratie qu'a été gardée une certaine distance avec le régime, qui s'exprimera par l'attentat du 19 juillet 44, et uniquement parce que le génie stratégique de Hitler, indubitable dans l'offensive, se révélait catastrophique à l'heure de la défensive.

Les bombardements n'ont donc pas contribué à souder un peuple qui l'était déjà. Leur seul effet pervers, Bartov le souligne bien, a été de poser les allemands comme des victimes dans la mémoire collective de l'après-guerre. Et donc de contribuer à les exonérer des crimes qu'ils avaient commis dans les pays conquis.

Le système nazi a parfaitement fonctionné parce qu'il a su s'installer dans la tradition romantique et antidémocratique allemande, tracée par

Fichte, puis Hegel. Il a su se caler sur le modèle autoritaire de la "famille souche" et du système patrilinéaire. Fichte lui-même s'inscrivait dans une réaction à l'Aufklärung et aux droits de l'homme qui puisait sa source dans la tradition protestante luthérienne qui avait installé une confusion entre la loi civile et les principes religieux.

Le système nazi avait enfermé les allemands dans une autoréférentialité, où ils avaient à accomplir un destin, par la réalisation de la communauté du peuple guidée par un modèle du père autoritaire incarnant une mission intemporelle et éternelle de cette communauté. Dans la Wehrmacht, l'analyse des lettres de soldats montre l'efficacité de ce système: le constat des crimes épouvantables qu'ils commettent contre les populations civiles devient justifié a posteriori par l'hypothèse qu'ils sont servi à éviter que ce soient les allemands qui soient les victimes des mêmes crimes.

J'en retire mon premier argument: il y avait bien une culpabilité collective des allemands qui justifiait moralement un châtiment.

Voyons maintenant le deuxième, sur la base de l'analyse utilitariste chère à nos amis anglo-saxons: les bombardements ont ils été efficace du point de vue militaire? La question est controversée. Ils ont sans doute eu la même utilité que l'exode de 1940 pour gêner le mouvement des troupes.

Mais, dernier point: si l'on avait pas procédé à ces bombardements, dans quel état l'Allemagne aurait elle terminée la guerre? Avec une infrastructure urbaine et industrielle moins détruite que Londres, la Russie ou l'Ukraine. Était-ce acceptable?