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Culte de l'apparence

15 août 2001


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Avec la médiatisation de la société, l’attention est accaparée par une image substituée à son prétexte. Chacun consacre à la télévision deux, trois heures par jour ou davantage. L’image médiatique du monde et des personnes occupe, dans les représentations, une place plus importante que la vie qui, par contraste, paraît fade et grise.

L’image de la « star » vit indépendamment de la personne qu’elle finit par dévorer : ainsi mourut Lady Diana. L’expert en communication de l’homme politique choisit cravate, couleur de la chemise, coupe du costume, teinte et coupe des cheveux, fond de teint ; il fait retailler les dents, indique comment parler, sourire, poser ou bouger les mains. A la personne il substitue une marionnette : celle des « guignols de l'info » n’est que la seconde marionnette. La diffusion de cette image standard érige en modèle culturel le produit de l’expert en communication.

L’important n’est pas ce que vous êtes, ce que vous faites, moins encore ce que vous pensez, mais le double qui vous représente dans l’esprit des autres. Accordez-lui tous vos soins, ne pensez qu’à lui, efforcez-vous de le multiplier en utilisant les médias. Les seigneurs médiévaux contrôlaient les points délicats des routes commerciales, les seigneurs d’aujourd’hui contrôlent votre passage à la télé. Vos paroles y compteront moins que votre port de tête : qu’importe si des esprits chagrins vous jugent vide.

Silvio Berlusconi, maître de la communication et des médias, a compris que le pouvoir se prenait et se gardait par l’image. C’est l’image de chaque homme politique que visent les « affaires » sordides ou ridicules dont les médias se délectent au détriment de la réflexion sur les priorités, sur les choix à faire aux plans social, économique, international.

Celui qui se conforme à ce modèle est « branché ».

Il y a autant de façons d'être branché qu'il y a de sexes, classes d'âge et milieux sociaux ; il existe un type de dirigeant d’entreprise branché dont Jean-Marie Messier et Michel Bon furent les incarnations les plus notoires. Les branchés ont cependant des traits communs. Le branché est, comme le snob de la chanson de Boris Vian[1], un ascète. Paraître « cool » demande de la discipline. Il est difficile d’avoir en permanence une barbe de deux jours. Il faut un choix précis et à jour des vêtements, de la coiffure, du teint, des bijoux, des gadgets (téléphone mobile, palm top et, pour les jeunes, « game boy »). Pour le tatouage et le « piercing[2] » il faut savoir souffrir. Parmi les jeunes, les plus timides se font teindre quelques mèches en blond, des audacieux risquent l’orange, le rose ou le bleu, quelques provocateurs vont jusqu’au vert. Le regard vague traduit à la fois l’intensité de la vie émotive et un dédain envers autrui propre, suppose-t-on, à éveiller son désir. Maupassant a parlé de ceux qui, « par la longueur de leur barbe et de leur chevelure, expriment l’infini de leurs aspirations » : autres temps, autres modes, même jeu de l’apparence[3].

La femme doit être maigre, puisque les « top models » (dans mon hameau on  prononce « taupe modèle ») ont des silhouettes d’anorexique. A l’approche de l’été les journaux lui indiquent comment perdre des kilos. D’après les médias, la femme « branchée » est aussi une femme « libérée », adjectif qui a dans leur langage une signification exclusivement sexuelle. Des témoignages d’une froideur clinique font la fortune des éditeurs[4]. Depuis longtemps les branché(e)s savaient que la vie affective ne doit plus être sentimentale. La mode a progressé : la vie affective n'est plus sensuelle, ni érotique, ni même sexuelle, mais génitale, focalisée sur la mécanique des organes et la technique des acteurs.

Dans l’entreprise, le branché fait des choix vestimentaires ou capillaires classiques : chemise blanche, costume gris, cheveux courts. Son « look » réside dans l'attitude. Il est « speedé », nerveux, rapide. Comprenez vite, impatientez-vous pendant les explications, n’approfondissez pas, votre temps est précieux. Utilisez l’anglais et les acronymes comme s’ils étaient votre langue maternelle. En réunion, ne vous souciez pas du fond de l’affaire mais observez la partie et comptez les points. Ne lisez pas, parcourez en diagonale. Écrivez mal et vite, ceci fera passer cela. Soyez péremptoire, renfrogné, réservez votre sourire aux puissants : ils penseront que vous méritez mieux que votre sort et vous avancerez.


[1] « Ça demande des mois d’turbin / C’est une vie de galérien » Boris Vian (1920-1959), J’suis snob, 1954

[2] Le piercing fait naître d’audacieux néologismes : la revue Piercing a fait des titres sur la « nombrilmania ».
 

[3] « Un groupe de citoyens réformateurs de l'humanité, qui n'avaient jamais coupé ni leur barbe ni leurs cheveux, pour indiquer sans doute l'infini de leurs aspirations. » (Guy de Maupassant (1850 - 1893), Les dimanches d'un bourgeois de Paris, 1880)

[4] Catherine Millet (1948-), La vie sexuelle de Catherine M., Seuil 2002