RECHERCHE :
Bienvenue sur le site de Michel VOLLE
Powered by picosearch  


Vous êtes libre de copier, distribuer et/ou modifier les documents de ce site, à la seule condition de citer la source.
 GNU Free Documentation License.

600 m2

25 février 2005


Pour lire un peu plus :

- Talleyrand
-
Richelieu
- Crise de système
- A propos de l'affaire Rhodia

La superficie du logement de fonction du ministre de l’économie est des finances m’indiffère. Qu’on lui attribue l’hôtel des Invalides pour qu'il s'y loge, qu'on y ajoute en prime le château de Versailles comme résidence secondaire, cela me serait égal – pourvu qu’il fasse bien son travail.

Qu’un homme politique soit un bon vivant, qu’il aime le luxe et les plaisirs – à la bonne heure, pourvu qu’il fasse bien son travail, qu’il agisse en homme d’État.

Il est vrai que l’on peut se demander, lorsque quelqu’un profite des avantages que lui apporte sa fonction, ce qui importe le plus pour lui : les responsabilités qu’implique la fonction, ou les privilèges qui l’accompagnent ? Pour répondre à cette question, ce n’est pas toutefois sur les privilèges qu’il faut focaliser son attention, mais sur la façon dont la mission est remplie.

Ce qu’apporte aux citoyens un ministre qui travaille bien est en effet sans commune mesure avec le coût des privilèges qui lui sont accordés. Talleyrand, qui aimait la belle vie et qui était notoirement corrompu, a apporté cinquante ans de paix à l’Europe. Richelieu, fondateur de notre État, avait amassé une fortune.

Autre temps, autres mœurs. Nous exigeons de nos hommes politiques qu’ils donnent l’image sinon de l’austérité, du moins de la modestie. Cela les incite à se transformer en Tartuffes – et si l’un d’eux se fait pincer en plein péché de gourmandise, les autres poussent les cris d’horreur de la vertu outragée.

*  *

M. Hervé Gaymard était-il ou non un bon ministre ? C’est la question qui importe. Il est resté peu de temps, mais on dispose de quelques indices.

Ainsi il a dit : « Il faut savoir que le plus gros poste de dérapage dans la consommation des ménages a trait aux communications. Or rien n'oblige les Français à bouffer du téléphone mobile de façon exagérée[1] ». Mais de quoi se mêle-t-il ? C’est au consommateur qu’il revient de choisir la structure de sa consommation. Si les Français aiment à téléphoner, c’est leur affaire. M. Gaymard nous rappelle ce ministre des PTT des années 60 dont j’ai oublié le nom et qui avait dit « les Français ne sont pas mûrs pour le téléphone ».

C’est pour des phrases de ce type, ou plutôt pour la conception politique et économique qu’elles révèlent, qu’il faudrait virer un ministre, et non parce qu’il utilise trop de mètres carrés.

On peut il est vrai trouver, dans les maladresses commises par M. Gaymard pour se dépêtrer de l'affaire qu'a suscitée son appartement de fonction, un autre indice de défaillance de la pensée et de la sensibilité politiques. Mais il n’est pas seul dans ce cas. Examinons d'un peu près ce que serait un ministre qui ferait bien son travail.

*  *

Il est un mot que les politiques devraient bannir de leur vocabulaire, c’est  « réforme », ce mot si cher à M. Alain Madelin.

Qu’est-ce, en effet, que l'on appelle « réforme » ? Un texte - loi, décret, circulaire. Il s’ajoutera à un corpus peu cohérent que « nul n’est censé ignorer », mais qu’en pratique personne ne peut comprendre ni connaître. Ces textes sont mal préparés : les études préalables sont presque toujours bâclées. Ils sont en outre mal appliqués : jamais l'on ne se soucie d’évaluer leurs conséquences. 

Nos ministres usurpent la fonction du législateur, dont l’initiative devrait appartenir au parlement, et parallèlement ils désertent la première fonction du gouvernement, de l’exécutif, qui est d’exécuter, de gérer, de faire en sorte que le service public soit convenablement rendu à la nation. Il en résulte une crise de système endémique à laquelle la gauche contribue tout autant que la droite (la Schadenfreude que l'« Affaire Gaymard » suscite à gauche est mesquine).

On se fait beaucoup d'illusions sur la possibilité de régler les problèmes par de nouvelles lois. Pour transformer la France, Richelieu n’a pas fait œuvre de législateur : il a fait appliquer les lois existantes.

On interprète le scepticisme des Français devant les réformes comme un symptôme d’immobilisme. N’est-ce pas plutôt un symptôme de bon sens ? Que peut apporter en effet une nouvelle loi quand l’exécutif n'est pas un bon exécutant ?

M. François Fillon, au lieu de proposer une réforme qui comme toutes les précédentes suscite une épidémie de manifestations, aurait dû plutôt s'appliquer, dans le cadre des lois et règlements existants, au bon fonctionnement des universités, lycées, collèges et écoles.


[1] « Gaymard aux patrons : n’oubliez pas vos salariés », Paris-Match, 17 février 2005.