La victoire de Ben Laden

30 octobre 2006

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« Mourir sans vider mon carquois !
Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
Ces bourreaux barbouilleurs de lois »
(André Chénier, Ïambes)

« Les lâches cruautés qu’il nomme châtiments »
(André Chénier, Idylles)

Le mot « torture » éveille en nous de pénibles souvenirs. La torture infligée aux résistants par la Gestapo et la milice nous semblait le comble de la barbarie, puis nos militaires l’ont eux aussi utilisée pendant la guerre d’Algérie. J'ai lu La question d’Henri Alleg, récit sobre et digne. J'ai admiré les officiers qui, comme Paris de Bollardière, ont protesté contre l'usage de la torture.

En la légalisant, George W. Bush donne la victoire à Oussama Ben Laden et inflige à son pays une blessure plus profonde que celle du 11 septembre 2001.

Le but du terroriste n’est pas tant en effet de tuer que de démoraliser l’ennemi, de susciter chez lui de ces réactions démesurées qui, comme une allergie, seront plus pernicieuses que l’attentat lui-même, de le « pourrir » en l’incitant à dévoyer ses institutions, à nier ses propres valeurs, à devenir enfin aussi barbare que le terroriste lui-même.

Bush considère cette loi comme la plus importante de toutes celles qu’il a contresignées : cela montre que l’échelle de ses valeurs est posée à l’envers. Il est plus dommageable en effet, pour un pays, de perdre son âme que de perdre des vies humaines. Et comment peut-on prétendre que l’on se bat pour la liberté quand on s’ingénie à faire souffrir des prisonniers ?

*     *

Il ne manque pas, en France, d’ivrognes qui entre le douzième et le treizième pastis expriment le désir de « tirer dans le tas », ni de personnes dont la conscience fléchit devant le sophisme « que ferais-tu si tu détenais quelqu’un qui sait où se trouve la bombe qui tuera des innocents ? ».

Mais légaliser la torture, cela va plus loin. Les militaires américains y étaient opposés : l’expérience leur a appris que la torture ne sert à rien, sinon à se défouler en satisfaisant des pulsions perverses. Ils disent même qu’elle est contre-productive au plan de l’efficacité (voir Torture et liberté).

Bush prétend que ceux qui sont contre cette loi manquent de fermeté dans la lutte contre le terrorisme (mais on sait bien que l'exhibition de l'énergie est un signe de faiblesse). Il en tire un argument électoral. J’espère que les Américains n'en seront pas dupes.

Pour lire un peu plus :
-
La personne du prisonnier est sacrée
-
Torture et liberté
-
Deux livres et une émission
- 11 septembre 2001 : la grande provocation
-
Perplexités militaires

www.volle.com/opinion/victoirebl.htm
© Michel VOLLE, 2006 GNU Free Documentation License