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Commentaire de Laurent Bloch sur Prédation et prédateurs

16 février 2008

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Pour lire un peu plus :

- Le site de Laurent Bloch
- Prédation et prédateurs

1. Le nouveau système économique

Avec son nouveau livre Prédation et prédateurs Michel Volle poursuit ses recherches sur la révolution économique contemporaine et ses conséquences. Le système productif industriel né à la fin du XVIIIe siècle et qui s’était renouvelé au tournant du XXe grâce à l’électricité et aux innovation telles que le taylorisme et le fordisme a dominé le monde développé jusque dans les années 1970 ; il est aujourd’hui supplanté par un nouveau système économique dominé par la production de deux types de biens, les composants microélectroniques et les logiciels.

La production de ces biens, microélectronique et logiciels, est caractérisée par des coûts marginaux voisins de zéro, c’est-à-dire que l’essentiel du coût est dans le dessin du circuit et la fabrication des machines qui vont le fabriquer, ou dans l’écriture du logiciel. Une fois réalisée cette phase de conception, à l’issue de laquelle aucun produit n’a encore été vendu, l’impression d’un exemplaire supplémentaire du circuit ou le pressage d’un cédérom supplémentaire du logiciel ne coûtent à peu près rien. Ce qui veut dire que l’essentiel du coût de production a été dépensé avant d’avoir rien vendu : le seul facteur de production désormais est le capital, qui est du travail en stock, par opposition au travail vivant, qui était à l’œuvre dans les usines de l’ancienne économie. Michel Volle décrit ce système comme une production à coût fixe, et donc à rendement croissant.

Cette révolution a des conséquences considérables. Le travail humain, au moins dans les économies développées, est désormais concentré sous deux formes : une activité de conception, qui constitue dans l’entreprise le capital grâce auquel elle va pouvoir produire, et une activité de services, tels que conseil avant-vente, commercialisation, maintenance, formation, support à la clientèle.

Les compétences dont ce nouveau système productif a besoin ne sont plus les mêmes que dans l’ancien système industriel : le système éducatif est lourdement remis en cause. Le lien entre le niveau de production et le niveau d’emploi est rompu, ce qui bouleverse le monde du travail. Ces bouleversements ne sont pas sans retentissement sur les valeurs de la société au sein de laquelle ils ont lieu, et donc sur l’ensemble des relations sociales.

2. La concurrence monopoliste

Comme le coût de production marginal est presque nul, et qu’en outre les coûts de transport pour les microprocesseurs ou les logiciels sont négligeables, la plus grosse entreprise sur un marché donné bénéficie d’un avantage tellement déterminant que les plus petites, si elle n’ont pas pu s’abriter dans une niche grâce à une production exclusive, sont condamnées, parce qu’elles auront dû, pour concevoir leurs produits, dépenser un capital équivalent, qui ne sera rémunéré que par des ventes plus faibles. Le paysage économique engendré par un tel système s’appelle la concurrence monopoliste : le marché de chaque produit est monopolisé par une firme unique, que l’on songe à Microsoft, Intel, Oracle, Google, ou par plusieurs firmes qui diversifient le produit pour bénéficier chacune d’un monopole sur un segment de clientèle. Les guerres économiques visent à s’emparer de tels segments ou à en créer de nouveaux. L’innovation est une arme.

Le monde de la concurrence monopoliste est celui du risque maximum : à chaque lancement de nouveau produit, la firme a dépensé la totalité du capital disponible sans avoir rien vendu, elle joue donc sa survie à chaque fois. Cet univers où chaque acteur règne sans partage sur un domaine qu’il doit défendre à n’importe quel prix contre les détenteurs des domaines voisins et contre des aventuriers prêts à tout pour se faire une place nous ramène à un système social d’il y a une dizaine de siècles : le système féodal décrit par l’historien Marc Bloch.

À ce point de son analyse, Michel Volle nous explique que les phénomènes de prédation qui apparaissent dans la nouvelle économie (corruption, rétrocommissions, caisses noires, blanchiment, manipulations des comptes et des médias, délits d’initié) ne sont pas des épiphénomènes, mais résultent de ses caractéristiques les plus fondamentales, dont je viens de résumer les grands traits : ces comportements ont les mêmes motifs que dans la société féodale. Si la perte d’un marché équivaut à une condamnation à mort de l’entreprise, tous les moyens seront bons pour le conserver. Si un patrimoine est mal protégé, rien n’interdit de s’en emparer. L’ensemble de ces comportements sont regroupés sous le terme de prédation.

Pourquoi la prédation est-elle plus développée dans le système contemporain que dans l’ancienne économie industrielle ? C’est à cause de l’intensité capitalistique accrue : l’incitation à la prédation est d’autant plus forte que la valeur du stock est plus élevée. Michel Volle trace ici un parallèle avec les hypothèses qui expliquent l’apparition de la guerre au sens moderne du terme par le début de l’accumulation de biens issus de l’agriculture et de l’élevage au néolithique.

Afin d’illustrer ce phénomène de prédation en situation de concurrence monopoliste, je donne un petit exemple relatif aux brevets sur les logiciels, assorti d’une prédation secondaire en forme de corruption.

3. Quelle société voulons-nous ?

Michel Volle attire notre attention sur les risques qui découlent des bouleversements sociaux entraînés par cette transformation radicale du système économique. Lorsque les grandes découvertes et la naissance de la science moderne eurent détruit les fondements intellectuels et moraux du monde médiéval, il s’ensuivit plus d’un siècle de guerres civiles. « Plus près de nous l’industrialisation offrait au début du XXe siècle des possibilités économiques et sociales nouvelles : plutôt que de les exploiter l’Europe, incapable d’assumer les changements nécessaires, a tenté un suicide collectif avec les guerres mondiales. »

Moyennant quoi « aucun mécanisme n’est fatal pour peu qu’il ait été compris car alors on peut faire jouer d’autres mécanismes qui le compenseront. C’est pourquoi il est si nécessaire, aujourd'hui, d’élucider la prédation. »

Une lumière très utile sur des événements qui nous concernent tous.