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La fonction de coût de l'Internet

V - Les résultats

8 novembre 2004


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- La fonction de coût de l'Internet
Ce calcul date de 1996. Il est publié ici parce que le raisonnement garde sa pertinence. Les données relatives à la demande, ainsi qu'aux prix et performance des unités d'oeuvre, nécessitent par contre une mise à jour.

Viabilité de l’Internet

Nous avons estimé le coût annuel moyen de l'Internet en amortissant les équipements selon leur durée de vie.

Les résultats suivants ont été obtenus en considérant les régions qui rassemblent aujourd’hui la majorité des utilisateurs de l’Internet : USA, Europe de l’ouest et Japon.

La simulation fait apparaître un coût annuel moyen par utilisateur de l'ordre de 500 F en 1995 ; il décroît pour atteindre 200 F en 2005. Le niveau relativement modique de ce coût, et sa décroissance tendancielle, permettent de conclure à la viabilité économique de l’Internet en tant que réseau.

Nous avons pris en compte le coût de l'infrastructure (investissement et fonctionnement) de l'Internet, mais non les charges relatives aux applications développées et exploitées sur l'Internet (charges d'exploitation commerciales, de promotion, etc[1]) : elles doivent être affectées au compte d'exploitation de chacun des acteurs qui interviennent sur l’Internet. Si l’on suppose que la prise en compte des charges indirectes multiplie par deux le coût moyen direct de l’infrastructure, on aboutit à un coût moyen par utilisateur de l'ordre de 1000 F/an en 1995. Ce coût peut être équilibré par un abonnement mensuel de l’ordre de 100 F/mois, ce qui est l’ordre de grandeur des abonnements proposés actuellement par les IAP.

L'économie de l'Internet : baisse des coûts unitaires et croissance de la demande

L'économie de l'Internet est marquée par deux tendances principales : la croissance de la demande (en nombre d'utilisateurs et en trafic par utilisateur) et la baisse du prix unitaire des équipements.

Le coût de l'Internet peut se résumer par une addition de coûts unitaires parce que les effets d'échelle jouent peu (voir ci-dessous). Le coût moyen de l'Internet par utilisateur peut donc se résumer à une somme pondérée des coûts unitaires, divisée par somme des utilisateurs. L’évolution du coût moyen par utilisateur sera donc fonction :
a) de l'évolution du trafic par utilisateur, qui nécessite des redimensionnements ;
b) par l’évolution des prix unitaires des unités d’œuvre.

Le modèle fait apparaître que la baisse des prix unitaires fait plus que compenser l'incidence du redimensionnement ; il en résulte une décroissance du coût moyen.

Hypothèse centrale de demande en trafic

Si l’on fait le même calcul en supposant les prix unitaires constants, on trouve que le coût moyen évolue autour d'une tendance linéaire légèrement croissante : le redimensionnement du réseau s'effectuant par paliers, la croissance du coût se produit lors des échéances du redimensionnement. La croissance du coût moyen résulte de la croissance du trafic par utilisateur, mais ce dernier effet est faible à côté des autres caractéristiques de croissance de l'Internet.

Rappelons toutefois que le scénario central est assez conservateur en ce qui concerne le trafic par utilisateur (il est multiplié par trois sur la période d'étude). S'il s'avérait que ce trafic croisse plus fortement que prévu (par exemple, par une utilisation intensive de l'Internet pour l'audiovisuel), le coût moyen de l'Internet pourrait ne plus être décroissant ; mais la nature du service rendu serait alors modifiée, ce qui modifierait la demande (en prix comme en volume).

Peu d'économies d'échelle

L'architecture de l'Internet s'oriente vers une organisation non hiérarchique. Une hiérarchie prévalait aux USA jusqu'au début de 1996 et l'on distinguait trois niveaux : réseaux locaux auxquels sont connectés les utilisateurs, réseaux régionaux destinés à interconnecter les réseaux locaux d'une région pour leur offrir un accès vers le niveau supérieur, backbone maillant les réseau régionaux. Depuis la « transition », c'est-à-dire le démantèlement du backbone NSFNet, il n'y a plus un seul réseau fédérateur mais plusieurs réseaux exploités par des acteurs différents qui proposent une offre de points d'accès à l'Internet (NAPs). Ces réseaux seront utilisés soit pour rattacher les utilisateurs, soit pour faire transiter des flux de trafic ; les réseaux régionaux assurent les mêmes fonctionnalités.

Si la structure hiérarchique prévaut encore en Europe (réseaux régionaux, nationaux ou IAP ; backbone européen Ebone et EuropaNet), aucune règle n’impose durablement cette hiérarchie. Ainsi des IAP louent des LS vers les USA ou s'interconnectent directement sur des points d'accès internationaux sans passer par un backbone.

L’évolution vers une structure non hiérarchique limite les possibilités de concentration de trafic ainsi que l’économie d’échelle que procure cette concentration.

Par ailleurs, tout opérateur d'un réseau Internet, qu'il s'agisse d'un réseau d'accès ou d’un réseau fédérateur, recherche la proximité des utilisateurs pour que ces derniers puissent bénéficier d'un coût d'accès réduit : l'utilisateur ira en effet vers la solution qui minimise le coût d'utilisation de son accès, au prix d'une communication locale (mode dial-up) ou au tarif le plus bas s'il s'agit d'une LS. Cette recherche de proximité implique la multiplication des noeuds de routage (ou des nœuds d'accès).

Cette multiplication des équipements est permise par la modicité de leur coût unitaire (le prix d'un routeur type de l'Internet varie de 50 kF à 500 kF)[2]

En conclusion, l’ingénierie de l’Internet n’est pas guidée par la recherche d’une économie d’échelle ; elle aboutit à la multiplication des réseaux indépendants, qu’il s’agisse des fournisseurs d’accès, des réseaux régionaux ou des réseaux fédérateurs.

Cette conclusion, qui résulte de considérations d'ordre technico-économique, doit être pondérée par la prise en considération du marketing. Beaucoup d'acteurs de l'Internet sont de nouveaux entrants dans le secteur des télécommunications[3]. Certains, comme les IAP (fournisseurs d'accès) vont devoir se construire une notoriété et rechercher des cibles larges. On peut penser que, notamment en ce qui concerne le marché des particuliers, les IAP qui réussiront le mieux seront ceux qui auront réussit à imposer leur label à un niveau au moins national. Ainsi, plutôt qu'une multiplication des réseaux indépendants (et des IAP), il y aurait formation d'un marché oligopolistique.

Structure du coût

Répartition du coût entre réseaux régionaux et backbone

La part des réseaux fédérateurs (couche backbones) est faible en regard de la somme des coûts des couches intermédiaires. Néanmoins cette part évolue dans le temps (la simulation ci-dessous suppose que le backbone comporte 30 noeuds aux USA et 20 noeuds en Europe).

Si le nombre des noeuds du backbone devait augmenter, la part du backbone dans le coût total deviendrait plus importante (la simulation ci-dessous est réalisée en considérant 90 noeuds au USA et 60 noeuds en Europe) :

Répartition du coût entre composants

La répartition du coût entre les divers composants est stable sur la période d'étude. La structure de l'Internet est simple et on peut classer ses composants en trois types : équipements des noeuds de routage, liaisons de transmission, personnel.

Le poste « liaisons de transmission » est le plus important. Les liaisons considérées ici sont des liaisons louées. Leur coût est donc le tarif de location des LS par les opérateurs télécoms traditionnels : c'est un prix de détail souvent éloigné du coût de revient de l'opérateur télécom.

Les variantes font apparaître une grande sensibilité du coût de l'Internet aux charges de personnel : une faible variation de la charge de personnel nécessaire pour un réseau régional aurait un effet significatif sur le coût total de l'Internet.

Contrairement aux autres composants du réseau, le coût unitaire du personnel n'évolue pas dans le temps. Plus l'on avance dans la période d'étude, plus la sensibilité du coût aux charges de personnel s'accentue.

Comparaison USA / Europe

Le coût des LS (louées par les opérateurs télécoms) varie d'une région à l'autre : il est environ deux fois plus élevé en Europe qu'aux USA. Ainsi, comme la location des LS est le principal poste de coût de l'Internet, le coût moyen par utilisateur varie fortement d'une région à l'autre : en 1995, il est de 370 F aux USA et de 650 F en Europe.

Variantes

Variantes sur l’évolution du trafic

Il est intéressant d'observer la sensibilité de ce résultat à divers scénarios d'évolution du trafic.

Scénarios relatifs au trafic ; Mégaoctets par utilisateur et par an

 

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Sc. 1

37

40

43

46

49

52

54

56

57

59

59

Sc. central

41

46

52

59

66

72

78

84

88

92

94

Sc. 2

47

58

71

86

102

121

140

157

172

184

193

Sc. 3

60

82

110

145

192

250

314

375

429

473

507

Sc. 4

73

107

150

211

302

422

557

689

805

902

977

Ces scénarios supposent que 30% du trafic (par rapport au trafic qui y serait parvenu si la répartition du trafic avait été supposée isotrope) remonte au backbone et au dernier niveau intermédiaire.

Ces scénarios montrent que le coût moyen par utilisateur croît avec le trafic moyen par utilisateur, mais reste néanmoins relativement faible. Ce n’est que dans le cas du scénario extrême (scénario 4) que l’on observe une tendance légèrement croissante du coût moyen par utilisateur.

La téléphonie sur l’Internet

Les premiers logiciels de téléphonie sur l'Internet sont disponibles depuis le début de 1995. Ils permettent, moyennant un investissement initial faible (prix d'acquisition du logiciel, équipement du PC avec une carte son et éventuellement abonnement à un serveur) de téléphoner à n'importe quelle distance pour le prix de deux communications locales.

La médiocre qualité des communications téléphoniques sur l'Internet est souvent soulignée par ceux qui ne veulent pas « croire » à la téléphonie sur l'Internet. Mais on peut supposer que la qualité en téléphonie n'est pas, sauf cas particuliers, une priorité pour les utilisateurs, qu’il s’agisse des professionnels ou des particuliers. Les utilisateurs optent pour la solution qui assure la fonctionnalité demandée (i. e. permettre le dialogue oral entre deux interlocuteurs distants) dans de bonnes conditions, sans rechercher un niveau de qualité qui excèderait le besoin objectif (que le dialogue oral soit audible), et en recherchant par contre le prix le plus bas. Dans cette hypothèse, la médiocre qualité des communications téléphoniques sur l'Internet ne serait pas un obstacle à leur généralisation, de même que la médiocre qualité de la téléphonie mobile n'a pas fait obstacle à sa diffusion. D'ailleurs on peut attendre des progrès en matière de codage de la voix. Le seul handicap durable de la téléphonie sur l'Internet est un délai de transmission d'un quart de seconde, analogue à celui ressenti lors d'une communication par satellite.

Les développeurs des logiciels de téléphonie sur Internet adoptent pour l'instant une attitude timide, mais on doit prévoir l’accélération rapide de l'utilisation de ce nouveau mode de téléphonie.

Même si l’on suppose une généralisation rapide de la téléphonie de l'Internet (70% de la population Internet en 2000, 90% en 2002), elle aura un effet faible sur le coût de l'Internet. En effet le trafic induit par la téléphonie (voir estimation de la demande plus haut et graphe ci-dessous) ne représente qu'une part du trafic total inférieure à 15% à terme.

Ainsi, l'Internet pourra supporter le trafic téléphonique longue distance de ses utilisateurs pour un coût marginal faible.

Si le trafic téléphonique longue distance des internautes peut être absorbé sans problème par l'architecture de l'Internet, en contrepartie cela représenterait une fuite significative d'une part du trafic téléphonique le plus rentable des opérateurs télécoms traditionnels.

Variantes sur la définition de l’heure chargée

Il est difficile de définir l’heure chargée sur l’Internet. Supposant que l’hypothèse centrale (50% du trafic est écoulé sur 8 heures chargées) est large, nous avons réalisé des variantes en restreignant la plage d’heures chargées.

Variantes sur la  « zone tarifaire »

Rappelons que la surface des mailles élémentaires du modèle est bornée inférieurement par la surface moyenne des « zones tarifaires » qui peuvent être des ZLE, des zones de couverture d’un réseau câblé, etc. Il est difficile d’estimer, à un niveau mondial, la surface moyenne des ces zones (dans le scénario central, cette valeur est fixée à 500 km2). Nous avons donc établi des variantes autour de cette hypothèse :

Variantes sur le nombre d’utilisateurs par maille

Le nombre d’utilisateurs par noeud élémentaire (i. e. par routeur de rattachement des utilisateurs) est un paramètre important du modèle. L’hypothèse centrale, qui résulte d’observations empiriques, suppose qu’il y a 400 utilisateurs par noeud. Le coût de l'Internet en 1995 est sensible à cette hypothèse, mais elle a peu d'effet sur le coût à moyen terme.


[1]Notre propos était essentiellement, dans ce chapitre, de juger de la stabilité économique de l'infrastructure considérée comme base de toutes les applications qui pourraient être développées sur l'Internet. En effet, si le coût de cette infrastructure s'était révélé fortement croissant, cela aurait remis en cause les perspectives d'applications fondées sur l'Internet.

[2]Le coût des routeurs est faible par rapport à celui de la transmission (le coût de la transmission représente la majorité des coûts de l'infrastructure et du fonctionnement de l'Internet). Par ailleurs, le coût unitaire de ces équipements décroît rapidement ; la transmission est de plus en plus l'élément le plus coûteux. Il y a donc logiquement un développement de la topologie orienté par une recherche d'optimisation des ressources de transmission et donc une multiplication des équipements de routage.

[3]"Télécommunication" au sens large, y compris "téléinformatique"