Du côté de l'ordinateur

Introduction

« Ce qui est unique dans l’ordinateur (…) c’est sa baisse de prix exponentielle ininterrompue depuis trente ans. En divisant par 1000 le coût d’une même opération, la machine s’est ouvert sans cesse de nouvelles applications. En ce sens, elle bouleverse la société.(…) Les coûts des circuits individuels baissent (…) de 20 à 30 % chaque année, à niveau égal de performance. (…) Il y a là un phénomène unique par son ampleur et sa durée, et qui explique à lui seul la formidable croissance de l’informatique » Jean-Pierre Brulé, L’informatique malade de l’Etat, Les Belles Lettres, 1993, pp. 61-62)

De tous les outils de l’informatique, l’ordinateur est celui qui nous est le plus familier. Mais est-il bien nommé ? non ; le mot « ordinateur » est l’un des « faux amis » qui abondent dans le vocabulaire de l’informatique (virtuel, numérique, langage, objet etc.) Si cela ne présente aucun inconvénient pour l’informaticien qui sait exactement ce que ces mots recouvrent, cela provoque des contresens dans le public et chez les personnes cultivées mais inexpertes qui s’efforcent de comprendre l’informatique. On ne peut raisonner avec justesse que si l’on a éclairci ce que ces termes désignent. Il serait dérisoire de tenter de déraciner le mot « ordinateur », mais nous proposerons, pour rectifier le faisceau de ses connotations, de lui associer mentalement l’expression « automate programmable ».

Par ailleurs l’image que nous avons aujourd’hui de l’ordinateur est datée. Elle ne correspond ni à ce qu’il était dans les années 50, 60 et 70, ni à ce qu’il sera dans dix à quinze ans. Beaucoup de nos objets familiers (téléphone portable, « palmtop », carte à puce etc.) sont des ordinateurs sans que nous nous en soyons avisés. Les ressources de mémoire et de puissance auxquelles notre écran-clavier donne accès ne sont pas seulement celles qui se trouvent sur notre machine : via le réseau (Ethernet, Internet ou Intranet) l’ordinateur a acquis l’ubiquité. Nous n’utilisons pas des ordinateurs (chacun le sien) mais nous partageons, dans la seule limite de nos droits d’accès et habilitations, un ordinateur, la machine constituée de réseaux, mémoires et processeurs, l’« automate programmable doué d’ubiquité ».

Pour comprendre cet être devenu banal mais qui est d’une grande complexité, il faut articuler les logiques qu’il met à l’œuvre : le « modèle en couches » de la représentation nous sera ici précieux. Il faut aussi bien situer la racine du phénomène : l’informatique apporte dans le rapport entre l’être humain et la nature un changement analogue à celui qui aurait résulté de la découverte d’une nouvelle ressource naturelle. L’être humain, organisé dans l’entreprise ou dans la société, tire parti de la synergie entre les propriétés électroniques des semi-conducteurs et les propriétés logiques du dispositif de commande de l’automate, le « langage de programmation ». 

Cette mise en exploitation nécessitait la maîtrise de certains procédés techniques (« nouvelles technologies »). Le progrès des performances, certes rapide, s’est donc étalé dans le temps (« loi de Moore »). Il a suscité la baisse de prix, également rapide, qui favorise la pénétration universelle de l’ordinateur dans les entreprises et dans la société.

15 novembre 2002