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Complexité et complication

« Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l'est pas est inutilisable. » 
Paul Valéry (1871-1945), Mauvaises pensées et autres, 1942, in Oeuvres, Tome II, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade 1960, p. 864

1) Complexité et réalité

« L’essence des mathématiques (…) apparaît comme l’étude des relations entre des objets qui ne sont plus (volontairement) connus et décrits que par quelques-unes de leurs propriétés, celles précisément que l’on met comme axiomes à la base de leur théorie »
(Nicolas Bourbaki, Eléments d’histoire des Mathématiques, Hermann 1969, p. 33)

Quand on prononce le mot « complexité », un ensemble confus de notions affleure : théorie du chaos, théorème de Gödel, principe d’incertitude de Heisenberg, fractales, limites du calcul informatique etc. Chacune est claire dans son domaine propre ; c’est l’accumulation qui crée la confusion (voir Bouveresse, 1999, [4]). Tentons de donner au mot « complexité » une acception qui la dissipera.

Le monde de la nature (y compris de la nature humaine et sociale) qui se présente à la perception et à la pensée est concret en ce sens qu’il se présente hic et nunc, son individualité se manifestant dans des particularités de temps et de lieu.

Aucune pensée ne peut rendre compte de l’ensemble des propriétés du monde (voir Morin et Le Moigne, 1999, [24]). Il suffit pour s’en convaincre de considérer une tasse de café et de tenter de la décrire. Chacune de ses propriétés relève d’un schéma conceptuel (donc abstrait) : sa forme géométrique, à la précision de laquelle on ne peut assigner de limite ; ses origines culturelles, économiques, industrielles ; sa composition chimique ; la position et les mouvements des molécules, atomes, particules qui le composent[1], etc. Chaque objet concret assure de facto la synthèse d’un nombre indéfini de déterminations abstraites. Il est en toute rigueur impensable : c’est ce que transcrit l’adjectif « complexe ». Il en est de même du monde lui-même, ensemble des objets concrets.

Sur chaque objet concret, nous disposons non d’une connaissance complète mais de « vues » dont chacune permet de considérer l'objet à travers une « grille » conceptuelle particulière. Si je ne peux parler d’une mesure précise de ma tasse de café, toute mesure étant grossière par rapport à un ordre de précision supérieur, je peux dire que la mesure est « exacte » si elle me permet de faire sur l’objet un raisonnement exact, c'est-à-dire adéquat à mon action : je peux calculer l’ordre de grandeur de sa densité à partir de mesures approximatives de sa masse et de son volume, inférer de l’examen de sa composition chimique une évaluation qualitative de sa fragilité … ou simplement boire mon café.

L’objet étant sujet à un nombre indéfini de déterminations, il existe un nombre indéfini de « vues » logiquement équivalentes. Cependant certaines seront plus utiles en pratique pour un sujet placé dans une situation particulière, que ce sujet soit individuel ou social : ce sont les vues en relation avec l’action du sujet, avec l’articulation entre sa volonté et l’objet considéré comme obstacle ou comme outil. Ces vues-là sont « pertinentes » ainsi que les observations et raisonnements que le sujet peut faire en utilisant les catégories selon lesquelles elles découpent l’objet.

Exemples

Le spectacle d’une rue conjugue des déterminations historiques, architecturales, sociologiques, économiques, urbanistiques, physiques, esthétiques etc. Cependant le conducteur d’une automobile limite son observation à quelques éléments : signalisation, bordures de la voie, obstacles dont il estime la vitesse et anticipe les déplacements. Cette grille fait abstraction de la plupart des aspects de la rue mais elle est adéquate à l’action « conduire l’automobile ». Le conducteur qui prétendrait avoir de la rue une représentation exhaustive saturerait sa perception et serait un danger public.

Nous trouvons  « naturelles » nos grilles habituelles, nous qualifions d’« objectives » les observations réalisées selon ces grilles. Pourtant la façon dont la pensée découpe ses concepts évolue selon les besoins et elle est, en ce sens, subjective :

1) La classification des métiers et niveaux de formation, « concrète » pour les personnes dont elle balise la carrière, n’a rien de naturel (voir Volle, 1984, [36], p. 155) : la catégorie des « cadres », qui appartient au langage courant en France, n’existait pas avant les classifications Parodi de 1945.

2) La classification des êtres vivants a évolué de Linné, Jussieu et Darwin à la « cladistique » contemporaine (voir Lecointre et Le Guyader, 2001, [21]). Fondée sur la comparaison génétique, cette dernière introduit des bouleversements : le crocodile est plus proche des oiseaux que des lézards ; les dinosaures sont toujours parmi nous ; les termes « poissons », « reptiles » ou « invertébrés » ne sont pas scientifiques.

3) Les classifications de l’industrie (voir Guibert, Laganier et Volle, 1971, [14]) ont pris pour critère au XVIIIème siècle l’origine de la matière première (minérale, végétale, animale) conformément à la théorie des physiocrates. Au milieu du XIXème siècle les controverses sur le libre échange ont conduit à un découpage selon l’usage du produit fabriqué. A la fin du XIXème siècle, le critère dominant fut celui des équipements : le souci principal était l’investissement. Depuis la dernière guerre les nomenclatures sont construites de façon à découper le moins possible les entreprises (« critère d’association ») car l’attention se concentre sur les questions d’organisation et de financement.

4) Au XVIème siècle il paraissait normal de regrouper les faits selon des liens symboliques : pour décrire un animal le naturaliste évoquait son anatomie, la manière de le capturer, son utilisation allégorique, son mode de génération, son habitat, sa nourriture et la meilleure façon de le mettre en sauce (voir Foucault, 1966, [9], p. 141). Plus près de nous, il a fallu du temps pour réunir les phénomènes magnétiques et électriques, puis reconnaître la nature électromagnétique de la lumière.

6) Dans l’entreprise, les classifications des produits, clients, fournisseurs et partenaires, ainsi que la définition des rubriques comptables, évoluent avec les besoins. C’est pourquoi le référentiel de l’entreprise est centrifuge : sans contrôle, il se dégrade en variantes et les données deviennent incohérentes. L’insouciance de la plupart des entreprises en matière d’administration des données résulte d’une erreur de jugement : comme on croit les classifications « naturelles », on ne voit pas à quel point elles sont instables et on sous-estime l’entropie qui mine la qualité du système d’information.

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Les grilles à travers lesquels nous percevons le monde nous en donnent une vue sélective ; il s’agit d’un langage (voir Saussure, 1916, [30]) qui évolue plus ou moins vite selon les domaines (les classifications de la science ou de la vie courante changent moins souvent que celles de l’entreprise). Ainsi le cadre conceptuel que nous utilisons est construit ; il porte la trace de choix pour partie intentionnels, pour partie conventionnels. Cela ne veut pas dire que les faits eux-mêmes soient construits, comme le pensent trop vite les apprentis philosophes. 

En effet si tout cadre conceptuel, même pertinent, reflète le monde de façon partielle, ce reflet n’en sera pas moins authentique. L’automobiliste qui arrive à un feu de signalisation ignore les détails de l'architecture des immeubles alentour mais il voit ce feu, ce qui lui permet de l’interpréter et d’agir. Même si sa grille ne lui révèle pas la Vérité du Monde, elle lui permet de savoir si le feu est vert, orange ou rouge. La couleur du feu ne relève plus alors d’une hypothèse mais constitue un fait d'observation dont il peut et doit tirer les conséquences pratiques.

Si aucune observation ne peut être exhaustive, elle peut être exacte, suffire pour alimenter un raisonnement exact. Celui-ci peut très souvent se satisfaire d’ordres de grandeur, ce qui détend l’exigence de précision. La réalité, si elle n’est pas pensable dans l’Absolu, est ainsi en pratique pensable pour l’action, pour vivre dans le monde et y graver nos valeurs, comme nos ancêtres ont gravé les symboles de leurs mythes sur les parois des grottes.  

2) Simplicité de la pensée

“(Nature's) fundamental laws do not govern the world as it appears in our mental picture in any direct way, but instead they control a substratum of which we cannot form a mental picture without introducing irrelevancies.”
(Paul Dirac, The Principles of Quantum Mechanics, introduction, Oxford, Clarendon Press, 1930)

« Le théorème de Gödel (…) est certainement de beaucoup le résultat scientifique qui a fait écrire le plus grand nombre de sottises et d’extravagances philosophiques. »
(Jacques Bouveresse, Prodiges et vertiges de l’analogie, Raisons d’agir, 1999, p. 60)

 

Le monde de la pensée, des concepts et propositions que l'on peut échafauder en obéissant au principe de non contradiction, est complexe : il est impossible d'en rendre compte à partir d'un nombre fini d'axiomes (cf. Annexe 2). Cependant toute pensée explicite, même subtile, est simple - non dans son processus d’élaboration, qui étant concret est complexe, mais dans son résultat. Alors que tout objet concret relève d’un nombre indéfini de déterminations, toute pensée explicite s’exprime selon un nombre fini de concepts. Toute pensée visant à l’action met en œuvre un modèle (ou théorie) constitué par le couple que forment d’une part un découpage conceptuel de l’observation, d’autre part des hypothèses sur les relations fonctionnelles.

Que le modèle soit formalisé, explicite, pertinent ou non, cette démarche est générale. Toute observation est une mesure selon une grille définie a priori ; tout raisonnement suppose que l’on prolonge cette mesure en postulant des relations fonctionnelles entre les concepts : en économie, la consommation sera fonction du revenu, ce qui implique un comportement d’épargne etc. (voir Korzybski, 1998, [19]).

Le monde des modèles, le monde de la théorie, c’est le monde de la pensée pure. Elle met le monde réel entre parenthèses. Le monde de la pensée est aussi celui de nos artifices, jeux, langages de programmation et programmes informatiques, de nos machines (en tant qu’objets concrets elles appartiennent au monde réel, mais leur conception relève du monde de la pensée) et de nos organisations (même remarque).

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La pensée pure a un but lointain : se confronter avec le réel dans l’expérience lors de laquelle les concepts seront soumis au critère de pertinence, les théories à l’épreuve de la réfutation. Mais il existe un moment où la pensée pure se forme sans être confrontée à l’expérience, se muscle comme le font en jouant les jeunes animaux.

La pensée pure dispose pour se préparer à l’expérience  d’une arme puissante : le principe de non contradiction. Toute théorie comportant une contradiction est fausse en ce sens qu’il ne pourra pas exister d’expérience à laquelle elle s’appliquerait. Le monde réel étant par essence non contradictoire, le viol de la logique est contre nature : une chose ne peut pas à la fois être et ne pas être, posséder une propriété et ne pas la posséder. Cela n’exclut pas qu’elle puisse évoluer ou encore posséder des facettes différentes comme une feuille de papier qui serait blanche d’un côté, noire de l’autre : les paradoxes résultent des imprécisions du langage courant.

Le fonctionnement de la pensée pure est un jeu avec des hypothèses. Pour pratiquer cette gymnastique, il faut poser des hypothèses et explorer leurs conséquences, puis recommencer etc. Celui qui ne s’est pas préparé ainsi posera des hypothèses naïves et s’aventurera dans des impasses théoriques que les experts ont appris à éviter. Le but des mathématiques n'est autre que cette gymnastique de l’esprit.

La non contradiction est une garantie de réalisme potentiel. Les géométries non euclidiennes, construites de façon formelle sans souci d’application, ont par la suite fourni des modèles pour représenter des phénomènes physiques. Toute théorie non contradictoire peut espérer trouver dans la complexité du monde réel un domaine d’application (mais le caractère non contradictoire d'une théorie ne garantit pas sa pertinence face à une situation particulière). La pensée pure n’est donc pas seulement une gymnastique : c’est un investissement qui procure des modèles en vue des expériences futures.

La conquête de la pensée pure, c’est l’intelligence, maîtrise du raisonnement qui, partant de données initiales, va droit au résultat. Lorsque l’esprit a parcouru plusieurs fois un raisonnement il l’anticipe comme l’on anticipe les formes et le contenu d’un appartement familier ; il l’enjambe pour en construire d’autres plus généraux, plus abstraits. La portée des raisonnements simples s’élargit alors comme un cercle lumineux. Des champs entiers de la pensée s’articulent à un principe simple conquis par un héroïque effort d’abstraction : principe de moindre action en physique (voir Landau et Lifchitz, 1966, [20], p. 8) ; optimum de Pareto en économie (voir Ekeland, 1979, [7], p. 59) ; « voile d’ignorance » en éthique (voir Rawls, 1971, [28]) ; principe de non contradiction en logique et en mathématique (voir Bourbaki, 1966, [3], vol. XVII, p. 2).

L’intelligence, dont le terrain propre est la pensée pure, s'exerce pendant la jeunesse. Certains adolescents sont des mathématiciens de génie comme Galois ou de grands joueurs d’échecs.

3) La rencontre expérimentale 

 „Mir hilft der Geist ! auf einmal seh’ ich Rat
Und schreibe getrost: Im Anfang war die Tat!
(Goethe, Faust, 1808, vers 1236-1237)

Le jeu de la pensée pure reste cependant puéril s’il n’aboutit pas à la confrontation au monde dans l’action. L’esprit formé au jeu avec des hypothèses trouve ici du nouveau à apprendre : face à la situation concrète à laquelle le sujet est confronté hic et nunc, et compte tenu de sa volonté (vivre et cultiver ses valeurs), que doit-il faire ? Ne pas agir serait encore une action, fût-ce par abstention (voir Blondel, 1893, [2]). Pour choisir l’action à engager, il faut que le sujet puisse anticiper ses conséquences, donc dispose d’un modèle du monde dans lequel il fera par la pensée intervenir son action.

Il doit alors, dans la batterie des hypothèses avec lesquelles il jouait librement, choisir celles qui représenteront le monde avec exactitude en regard des impératifs de son action. L’expérience oblige alors à renoncer à certaines hypothèses et à en retenir d’autres ; elle tourne le dos à la liberté qui caractérisait la pensée pure. C’est un moment émouvant que celui où l’esprit se courbe sous le joug de l’expérience. Les êtres humains ont longtemps pu se représenter la surface de la terre comme un plan infini, un disque ou une sphère, hypothèses alors également plausibles ; puis la pratique de la navigation et l’expérience de l’astronomie ont imposé la troisième hypothèse.

L’expérience prouve-t-elle la vérité des hypothèses ? oui, s’il s’agit de faits que tranche l’observation, comme la sphéricité approximative de la terre, la mesure de la distance moyenne entre la terre et le soleil, la date d’un événement. Non, s’il s’agit de relations fonctionnelles entre concepts : lorsque nous postulons la vérité d’une hypothèse causale que l’expérience a validée, nous inférons une proposition générale à partir d’une expérience limitée, et cette inférence n’est pas une preuve. 

Il en résulte, selon Popper, que toute théorie doit être présentée de sorte que l’on puisse la réfuter par l’expérience. Le scientifique doit être assez modeste pour préparer dans ses travaux les voies de leur réfutation. Toute théorie construite de façon qu’on ne puisse pas la réfuter est nulle en raison de sa solidité apparente (les faits d’observation sont, eux, irréfutables mais ils ne constituent pas des théories).

Lorsque l'expérience réfute la théorie, elle le fait d’une façon toujours logique mais surprenante. Ces « surprises » sont son apport le plus précieux[2].

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Le mot « expérience » ne doit pas être réservé à l’expérience contrôlée en laboratoire : la démarche expérimentale peut et doit s’étendre à la vie entière. Dès que nous percevons, nous appliquons à la sensation une grille qui permet d’identifier les êtres perçus (celui qui voit « des fleurs » ne voit pas la même chose que celui qui voit « des épilobes, des ombellifères, des géraniums » etc.). Nous prolongeons l’observation par des raisonnements sélectionnés parmi les modèles dont nous disposons : c’est ainsi que nous conduisons une automobile, organisons notre travail, faisons la cuisine etc.

Si la gymnastique de la pensée est analogue aux jeux des jeunes animaux, la pratique de l’action est analogue à la recherche des ressources (chasse, pâturage) et des partenaires sexuels par les animaux adultes, recherche à laquelle l’être humain ajoute le besoin d’exprimer ses valeurs par des symboles. La démarche expérimentale caractérise l’âge adulte de la pensée. L’idéal de l’adulte n’est pas l’intelligence, même si elle lui est nécessaire, mais l’efficacité dans l’action. Il y applique son discernement (découpage des concepts pour distinguer les êtres observés) et son jugement (sélection d’un raisonnement pertinent). Il y engage spontanément la capacité intellectuelle acquise lors des jeux de l’enfance.

L’expérience de l’expérience, la confrontation répétée à des situations nécessitant des modèles divers, assouplit et accélère la construction théorique. Au sommet de l’art, l’adulte acquiert le « coup d’œil » : face à la complexité et l’urgence d’une situation concrète il va droit à l’action nécessaire. L’esprit enjambe alors les étapes d’un raisonnement qu’il ne se soucie pas d’expliciter. Si le sage chinois est « sans idée » (voir Julien, 1998, [16]), ce n’est pas parce qu’il a l’esprit vide ou ne s’intéresse pas à l’action : disposant de divers modèles, il passe de l’un à l’autre pour s’adapter à la situation, obéir à la « propension des choses » et atteindre un sommet d’efficacité (voir Julien, 1992, [17]). S’il ne s’attache à aucun modèle, c’est qu’il sait à chaque moment mobiliser celui qui convient, voire en conjuguer plusieurs. Cet idéal de sagesse, impossible à réaliser complètement, brille à l’horizon comme un point lumineux qui indique le chemin de l’ambition pratique la plus haute, le Tao : être disponible devant le monde afin d’y être efficace par l’action.

On évoque souvent le « coup d’œil » du stratège militaire, soumis à des contraintes extrêmes. On le rencontre aussi chez les entrepreneurs, artisans, contrôleurs aériens, professeurs, pilotes d’avion, conducteurs automobiles, sportifs, chirurgiens, bref chez tous ceux qui doivent agir.  

4) Les embarras de la complication

Le coup d’œil est une qualité rare. Quelqu’un peut le posséder dans certains domaines et non dans d’autres : le bon conducteur automobile n’est pas nécessairement un bon entrepreneur et réciproquement.

Certains des obstacles qui s’opposent à la pensée adulte, à la pensée appliquée à l’action, sont naturels : il est naturel par exemple qu’un débutant soit maladroit. D’autres obstacles, par contre, constituent un handicap qui empêche de se former par l’exercice et qui finalement interdit l’action. Mais alors que le prédateur qui ne sait pas chasser meurt bientôt, nos sociétés élaborées produisent des personnes qui ne savent pas agir ou seulement dans des domaines limités. Certaines personnes intelligentes sont incapables d’agir ; d’autres, comme dotées d’une sagesse à éclipses, sont aptes à l’action dans leur vie personnelle mais non dans leur vie professionnelle ou inversement.

Il se peut que cette mutilation contribue à la reproduction de la société comme la stérilité des ouvrières contribue à la reproduction de la ruche. Le constat d'une mutilation si fréquente est douloureux et celui qui énonce ce grand secret est mal reçu. Tâchons d’en élucider le mécanisme.  

 La complication, simulacre de la complexité

L’écart entre la pensée et le monde n’a rien de scandaleux ni de bouleversant. Nous sommes incapables de décrire le mécanisme neurophysiologique qui nous permet de prononcer la lettre « A » (voir Leibowitz, 1996, [22], pp. 205-207), ou de décrire un visage par des paroles ; le fonctionnement quotidien de notre corps reste énigmatique ; si nous nous intéressons passionnément à la personne aimée, sa connaissance n’est jamais achevée : étant concrète, elle est aussi complexe que le monde lui-même.

L’écart entre la pensée et le monde fait souffrir certaines personnes. Cela vient d’une formation intellectuelle mal conçue : si les adultes font croire à l’adolescent que le monde de la pensée est aussi éloigné de la vie courante que peut l’être le paradis, devenu adulte celui-ci ne concevra pas comment elle peut devenir un outil simple et servir de levier à l’action dans un monde complexe.

On peut se demander si certaines pédagogies n’ont pas pour effet (et, de façon perverse, pour but) de stériliser les esprits en leur inculquant devant les choses de l’intellect une humilité déplacée : s’il faut être modeste devant le monde que l’on découvre par l’expérience, chacun a le devoir d’être intrépide dans la pensée[3].

Les personnes mal formées croient que la tâche de la pensée est de représenter le monde tel qu’il est. Toute pensée exprimée avec simplicité leur semble alors une usurpation : la simplicité montrant naïvement que cette pensée est incapable de représenter le monde, elles estiment qu’elle ne vaut rien et n’a donc pas même le droit d’être exprimée. A la pensée qui laisse apparaître sa simplicité elles préféreront une pensée compliquée.

La pensée compliquée est simple au fond comme toute pensée, mais elle prend soin de cacher sa simplicité derrière un écheveau touffu de concepts et relations fonctionnelles dont l’architecture embrouille postulats, conséquences, résultats intermédiaires et hypothèses annexes.

La pensée compliquée est, en pratique, inutilisable. Il arrive souvent que sous la complication se cache une incohérence : alors la pensée est non seulement inutilisable mais elle est nulle. Les contraintes formelles de la rédaction des textes scientifiques, excellentes en elles-mêmes, permettent à des esprits faibles de publier des écrits dont le vide est masqué par la complication : c’est ce que Feynman appelait « pretentious science[4] ».

La complication du modèle singe la complexité du réel. Elle n’égale jamais la complexité du réel, mais elle sature l’attention et le jugement. La personne qui examine un modèle compliqué est en « surcharge mentale ». Le modèle lui semble alors aussi complexe qu’un objet réel.

Le modèle compliqué est considéré avec respect par les personnes qui se défient de la simplicité de la pensée et qui ne jugent pas nécessaire de comprendre ce qu’elles lisent. Elles le croient réaliste, et en effet une des façons de construire un modèle compliqué, c’est d’emprunter à la réalité un grand nombre de déterminations à partir desquelles on emmêlera un écheveau.

Un modèle simple est vulnérable dans toutes ses étapes puisqu’elles sont compréhensibles ; il est scientifique au sens de Popper. Mais celui qui présente un modèle simple s’attire souvent la phrase qui tue : « Ce n’est pas si simple ! ».

Exemple du système d’information

80 % des fonctionnalités développées à grands frais, et dont la maintenance sera elle aussi coûteuse, ne sont pas utilisées. Comment expliquer ce gâchis ? Tout système d’information est fondé sur une abstraction : il représente les êtres qu’il considère (clients, fournisseurs, produits, agents, entités de l’organisation etc.) par des classes[5] dotées d’un nombre fini d’attributs et de règles de gestion ; les valeurs des attributs sont codées selon des nomenclatures choisies en fonction des besoins.

La spécification des attributs et des règles élimine, par son silence, les attributs qui ne seront pas observés, les règles qui ne seront pas appliquées. Cette simplification est intolérable pour les personnes qui aiment la pensée compliquée. Elles iront chercher les cas particuliers qui ne se coulent pas dans le modèle et exiger qu’on le complique sous prétexte que l’informatique doit se plier à la demande des utilisateurs (idée juste utilisée ici de façon perverse).

Ces personnes trouveront trop simple de coder un aspect de la réalité selon une suite de partitions emboîtées (voir Marcotorchino, 2002, [23]). Elles vont préférer que les rubriques d'un même niveau se chevauchent, que les niveaux se relient par des liens obliques.

Très sensibles à la solidarité entre les diverses parties du monde, elles pensent que tout est relié à tout, que le fonctionnement du système solaire est sensible à l’attraction des étoiles. Elles s’opposent donc à la modularité du système d’information et militent pour qu’il traite en bloc les divers aspects du métier, ce qui accroît la taille des projets et complique leur réalisation.

Dans un système d’information, la logique voudrait par ailleurs que les tables de codage fussent identiques pour toutes les applications. La sociologie de l’entreprise, le particularisme des métiers, l’insouciance des dirigeants, les circonstances de l'exécution font qu’en pratique l’architecture des bases de données n’est jamais cohérente. Elle est soumise à un phénomène d’entropie irrésistible dont l'explication réside dans la nature même des données (voir Boydens, 1999, [5]) :

1) L'interprétation des données en informatique scientifique (chimie, biologie, etc.) évolue et comporte des ambiguïtés sémantiques, même si ces données sont vérifiées et contrôlées : 

2) Il est normal qu’un agent fasse passer son travail opérationnel avant les tâches de saisie[6] ; mais il en résulte qu’en informatique de gestion les données sont souvent incomplètes. En outre parmi les données saisies seules celles que l’agent juge importantes auront été bien vérifiées[7]. Il arrive aussi que des interprétations locales soient données aux tables de codage qui se dégradent en dialectes.

3) Il y a conflit entre l’exigence formelle du code informatique et le flou inhérent à des concepts dont l'interprétation est sujette a l'expérience humaine, même quand il s'agit de concepts générateurs de droits et de devoirs (cotisations, prestations sociales, impôts etc.) : la distinction entre un ouvrier et un employé repose sur le caractère prépondérant de leurs activités manuelles ou intellectuelles, bien difficile à évaluer ; des difficultés analogues se rencontrent avec les concepts de journée de travail, de catégorie d'activité etc.

Les codages se diversifient dans le temps et l'espace (tout raisonnement doit passer par une phase pénible de retraitement des données). Les statistiques issues de sources différentes sont incohérentes car elles mesurent des réalités différentes. Les tableaux de bord occasionnent de pénibles discussions  en comité de direction: « D’après mes données ça monte, et vous dites que ça baisse ? à la réflexion, cela provient du fait que j’ai consolidé telle filiale, alors que vous vous référez à un autre périmètre, etc. »

 « Ce n’est pas si simple ! »

Oui, la réalité n’est jamais aussi simple qu’un modèle, quelle que soit la richesse de celui-ci, puisqu’elle est complexe alors que le modèle est fini. La phrase « ce n’est pas si simple » est vide : elle s’applique à tout modèle, fût-il compliqué.

La question que l’on doit se poser n’est pas « le modèle est-il réaliste » puisqu’il ne peut pas l’être, mais « est-ce une simplification pertinente », celle qui permet de raisonner juste et d’agir efficacement. Ceux qui refusent la simplicité du modèle refusent l’apport le plus précieux de la pensée : la sélection qu’elle opère dans la multiplicité indéfinie des phénomènes pour n'en retenir que la vue pertinente, celle qui permet l’action efficace. 

La simplicité de la pensée est un outil pour l’action, comme l’imperfection de la mémoire est un outil pour l’intellect. L’oubli sélectif suscite le travail de synthèse et exerce l’intelligence : tout garder en mémoire, c’est ne rien comprendre (Squire et Kandel, 1999, [33]). De même, tout percevoir, c'est ne rien pouvoir faire. 

Certains disent avec dédain que la recherche de la simplicité du modèle est de l’« adéquationnisme ». On a pu lire ceci dans un article consacré au marché de l’emploi : « Que les champs soient distincts, les périodes pas toujours harmonisées, les conceptions et conventions souvent différentes, ne doit pas nous troubler outre mesure ; cela exige rigueur et prudence dans la lecture et l'interprétation des chiffres, mais les utilisateurs devraient en sortir enrichis. Cette pluralité peut concourir à « désacraliser » une certaine obsession du chiffre unique, renforcer des approches plurielles et contribuer, aux différents niveaux territoriaux, à éclairer le débat social[8] ». L’ineptie de cette phrase illustre la confusion entre complication et complexité.

"Complexité" de l’informatique

En informatique, on dit qu’une opération est « complexe » si elle est logiquement possible mais en pratique irréalisable.

Une première forme de « complexité » provient de la représentation des nombres dans la mémoire de l’ordinateur. Celle-ci ne pouvant contenir qu’une quantité limitée de chiffres, les calculs informatisés portent sur un sous-ensemble des nombres rationnels, approximations des nombres réels. La précision des calculs est donc limitée. Il en résulte de grandes difficultés mathématiques (voir Knuth, 1997, [18], vol. 2, p. 229).

Une deuxième forme de « complexité » est liée au nombre de calculs élémentaires que nécessite une opération. En notant n le cardinal de l’ensemble sur lequel on travaille, on dit que la « complexité » est linéaire si elle demande de l’ordre de n calculs élémentaires, quadratique si elle en demande de l’ordre de n2, « exponentielle » si elle en demande de l’ordre de en ou, pire, de nn.

S’il faut réaliser le calcul élémentaire sur chaque couple d’éléments de l’ensemble, la « complexité » est quadratique. S’il faut calculer sur chacune des parties de l’ensemble, la « complexité » est exponentielle. Enfin, si l’on doit calculer sur chacune des permutations des éléments de l’ensemble, leur nombre est n ! et la « complexité » est alors de l'ordre de nn.

Certains problèmes à la formulation simple peuvent exiger une durée de calcul de l’ordre de l’âge de l’univers : c’est le cas du « problème du commis voyageur » dès que n atteint quelques dizaines[11] (pour trouver l’itinéraire optimal passant par plusieurs villes il faut comparer n! itinéraires).

Si n dépasse quelques centaines (c’est le cas de la plupart des bases de données d’une entreprise), un calcul linéaire sera facile, un calcul quadratique difficile et un calcul exponentiel impossible. Le programmeur qualifié arrive parfois à rendre possible un traitement qui, programmé de façon sommaire, aurait été impossible ou difficile : s’il s’agit de faire un tri, un calcul rustique sera quadratique mais un calcul bien conçu sera d’ordre nLog(n).

Une troisième forme de « complexité » provient des limites de la logique elle-même (cf. Annexe 2) : il résulte du théorème de Gödel qu'il est impossible de mettre au point un programme capable de vérifier tous les programmes. 

L’opération qui consiste à répéter un grand nombre de fois un calcul élémentaire n’est pas plus complexe que le calcul élémentaire, lui-même aussi simple que l’idée qui a guidé sa conception : les deux premières formes de la « complexité » informatique sont des homonymes de la complexité du réel.

5) Sortir de l'embarras

Pour sortir de l'embarras, il faut assumer et cultiver la simplicité de la pensée. Nous aurons fait un grand progrès lorsque nous rirons de celui qui dit « ce n’est pas si simple ! », « il faut bien répondre à la demande des utilisateurs » ou tout autre phrase révélant le refus de la simplicité de la pensée. Il faut se servir des mécanismes de la mode, fussent-ils cruels, pour extirper les mauvaises habitudes. Les Américains appellent cela « le principe KISS[9] ».

On peut aussi s'appuyer sur quelques outils : modèle en couches ; croisement des découpages ; raisonnement probabiliste ; élaboration de la pertinence par les consultations et validations, etc. On rencontre enfin en informatique des difficultés d'origine technique : par abus de langage, on les baptise du terme « complexité ». Il est intéressant de les examiner (cf. Annexe 1).

Modèle en couches

Un modèle en couches consiste en l'articulation de plusieurs sous-modèles, nommés « couches » (Voir Tanenbaum, 1984, [34]). Les couches sont caractérisées chacune par un protocole spécifique et reliées par des interfaces. Le modèle en couches permet de représenter les situations où plusieurs logiques jouent simultanément. Le nombre des logiques ainsi articulées restant fini, le modèle n'atteint pas la richesse de la complexité, mais tout en restant pensable il possède l'un des traits de la complexité : la pluralité des logiques.

Son domaine d’application est très vaste. Il peut servir pour décrire les télécommunications, le transport aérien, modéliser les systèmes d'information, le fonctionnement de l'ordinateur, l'apport des NTIC à l'économie etc. (voir Volle, 2000, [36]).

Croiser les découpages

On peut considérer un même objet selon diverses grilles (exemple : une population d'êtres humains considérée selon la tranche d'âge et la région de résidence). « Croiser les découpages », c'est considérer un tableau croisé (ou un « hypercube ») qui ventile l’objet selon deux ou plusieurs grilles. On peut alors évaluer la corrélation entre les grilles, telle qu’elle s’opère dans l’objet. Pour une étude rapide, un calcul simple peut suffire (voir Volle, 1974, [37], p. 65).

Imprévisibilité et probabilité

Les sciences physiques postulaient au début du XIXème siècle que l'évolution d'un système était déterminée une fois connues les positions et vitesses initiales ; l'avenir était prévisible. 

Le déterminisme a étendu son empire sur des domaines comme l'histoire, l'économie, la sociologie où sa pertinence est douteuse. Le choc a été profond lorsque la physique elle-même a imposé des limites au déterminisme : à l'échelle subatomique, le mouvement d'une particule est probabiliste. 

On aurait pu s’aviser qu'à l'échelle macroscopique le déterminisme est déjà contredit par l'expérience : si les physiciens pouvaient prédire le résultat d'un coup de dés, cela se saurait dans les salles de jeu. Comme la consistance souple de la main du lanceur interdit de connaître avec précision les conditions du lancer, en pratique son résultat est probabiliste.

Les phénomènes régis par des équations différentielles non linéaires, bien que déterministes par nature, donnent naissance à des effets chaotiques qui ne peuvent pas être distingués d'un comportement probabiliste car ils sont, comme le lancement d'un dé, très sensibles aux conditions initiales (voir Gleick, 1987, [11]). Ainsi on ne peut pas garantir que la terre ne quittera jamais le système solaire : la prévision de sa trajectoire comporte une incertitude qui croît à mesure que l'on s'éloigne dans le futur. 

La science économique a créé pour traiter l'incertitude la théorie des anticipations et du risque. Un entrepreneur raisonne en avenir incertain. Il en est de même du stratège qui doit prendre des décisions justes alors qu'il reçoit des rapports partiels, erronés ou fallacieux. Il existe des généraux qui gagnent les batailles et des dirigeants efficaces : ce sont ceux qui savent agir au mieux dans des situations incertaines[10]. Cette faculté s'acquiert par l'exercice. Ceux qui la possèdent n'ont généralement ni le goût, ni la capacité d'expliquer leurs raisonnements (voir Clausewitz, 1832, [6]).

Nous devons tous gérer des incertitudes, assumer des risques. Certaines personnes ont le talent de raisonner juste dans un contexte incertain. Chez d'autres, au contraire, la faculté de raisonner est paralysée dès que se présente une incertitude. 

Limites de la logique

Au début du XXème siècle, Bertrand Russell s’est efforcé de donner aux mathématiques un fondement à la fois logiquement correct et complet. Kurt Gödel a démontré en 1931 que, quel que soit le système d'axiomes utilisé pour fonder une théorie, il existe des propositions que l'on sait vraies mais dont la vérité ne peut pas être démontrée dans le cadre de la théorie (cf. Annexe 2).  Ainsi, quelle que soit la richesse d'un système d'axiomes, elle ne peut égaler la complexité du contenu potentiel de la pensée.

La pensée potentielle, constituée de l'ensemble des propositions que l’on peut déduire des systèmes d’axiomes possibles, est donc complexe ; mais la pensée explicite, résultat de nos réflexions, est fondée sur un nombre fini d'axiomes : le théorème de Gödel montre que la pensée explicite est plus simple que la pensée potentielle. 

La logique ne peut donc pas avoir réponse à tout. Certains logiciens s'opposaient à cette affirmation avec une certaine raideur. Avec Gödel la logique a trouvé sa propre limite en s’appuyant sur ses propres méthodes. 

La logique est condition nécessaire de l'efficacité pratique de la pensée car une pensée incohérente est pratiquement nulle ; mais la logique n'est pas condition suffisante de la pertinence de la pensée. Le caractère logique d'un système ne prouve pas sa pertinence face à une situation particulière : un délire peut être cohérent. 

Écoute

Comment élaborer l'adéquation à l'action ? Pour comprendre une situation particulière, faire le choix des concepts pertinents, élaborer une théorie exacte, la pensée pure ne suffit pas : il faut en outre la démarche expérimentale. Lorsque l'on veut construire un système d'information, l'écoute est une attitude non seulement convenable au plan moral, mais aussi nécessaire au plan méthodologique. 

Durant la phase d'écoute, la grille conceptuelle de l'auditeur est mise entre parenthèses (sauf la grille propre à l'écoute elle-même) ; il accepte de faire le voyage mental qu’impliquent des constructions intellectuelles qui ne lui sont pas familières. Il y faut de la modestie : celui qui entre dans un domaine nouveau est un bizut qui se fait bousculer par les experts. Après l'écoute vient cependant la synthèse : il ne faut pas croire tout ce que l'on entend ; les habitudes des praticiens sont parfois illogiques, car elles découlent de la superposition de méthodes anciennes parfois dogmatisées. L'auditeur rend les incohérences visibles. Cependant quand le « bizut » se familiarise ainsi et commence à parler avec quelque autorité les experts n'apprécient guère de le voir contourner les complications qui protégent leur spécialité. C'est un moment délicat.

Le pire ennemi de l'auditeur, c'est pourtant la « tache aveugle » de l'intellect (voir Volle, 2000, [36], p. 234), la tentation d’éliminer des choses que l'on entend mais qui sont contrariantes. Les personnes au tempérament impérieux sont incapables d'écouter ; il leur est donc difficile d’accéder à la pertinence même (et surtout) si elles sont intellectuellement brillantes.

Bibliographie

[1]     Aglietta Michel, Blanchet Didier et Héran François (2002). Démographie et économie, La documentation française

[2]     Blondel Maurice (1893). L’Action

[3]     Bourbaki N. (1966). Eléments de mathématique, Théorie des ensembles, Hermann

[4]     Bouveresse Jacques (1999). Prodiges et vertiges de l’analogie, Raisons d’agir

[5]     Boydens Isabelle (1999). Informatique, normes et temps, Bruylant

[6]     Clausewitz Carl von (1832). Vom Kriege

[7]     Ekeland Ivar (1979). Eléments d’économie mathématique, Hermann

[8]     Feynman Richard P. (1963). Lectures on Physics, Addison-Wesley

[9]     Foucault Michel (1966). Les mots et les choses, Gallimard

[10]  Galois Evariste (1976). Ecrits et mémoires mathématiques, Gauthier-Villars

[11]  Gleick James (1987). Chaos : making a new Science, Viking Press

[12]  Gleick James (1992). Genius : the Life and Science of Richard Feynman, Vintage Books

[13]  Gödel Kurt (1931). « Über formal unentscheidbare Sätze der Principia Mathematica und verwandter Systeme », in Monatshefte für Mathematik und Physik, vol. 38

[14]  Guibert Bernard, Laganier Jean et Volle Michel (1971). « Essai sur les nomenclatures industrielles », in Economie et Statistique n° 20, février 1971

[15]  Hegel G. W. F. (1807). Phänomenologie des Geistes

[16]  Jullien François (1998). Un sage est sans idée, Seuil

[17]  Jullien François (1992). La propension des choses, Seuil

[18]  Knuth Donald E. (1997). The Art of Computer Programming, Addison Wesley

[19]  Korzybski Alfred (1998). Une carte n’est pas le territoire, L’Eclat

[20]  Landau L. et Lifchitz E. (1966). Mécanique, Editions MIR

[21]  Lecointre Guillaume et Le Guyader Hervé (2001). Classification phylogénétique du vivant, Belin

[22]  Leibowitz Yeshayahou (1996). Israël et le judaïsme, Desclée de Brouwer

[23]  Marcotorchino Jean-François (2002). « Le véritable enjeu de la fusion des données numériques et des données textuelles », in Revue de la SEE, REE juillet 2002 (à paraître)

[24]  Morin Edgar et Le Moigne Jean-Louis (1999). L’intelligence de la complexité, L’Harmattan

[25]  Pascal Blaise (1655). De l’esprit géométrique et de l’art de persuader

[26]  Popper Karl (1934). The Logic of Scientific Discovery

[27]  Popper Karl (1979). Objective Knowledge, Oxford University Press

[28]  Rawls John (1971). A Theory of Justice

[29]  Russell Bertrand et Whitehead Alfred (1910-1913). Principia Mathematica

[30]  Saussure Ferdinand de (1916). Cours de Linguistique générale, Payot

[31]  Singh Simon (1997). Fermat’s Enigma, Walker and Company

[32]  Sipser Michael (1997). Introduction to the Theory of Computation, PWS

[33]  Squire Larry R. et Kandel Eric R. (1999). Memory From Mind to Molecules, Scientific American Library

[34]  Tanenbaum Andrew (1984).   Structured Computer Organization, Prentice-Hall

[35]  Volle Michel (1984). Le métier de statisticien, Economica

[36]  Volle Michel (2000). e-conomie, Economica

[37]  Volle Michel (1974). « Une méthode pour lire et commenter automatiquement de grands tableaux statistiques », in Économie et Statistique n° 52, janvier 1974

23 novembre 2002


[1] Si l’on recherche une précision de l’ordre de l’Angstrœm (10–10 m), la connaissance simultanée des positions et vitesses est bornée par le principe d’incertitude de Heisenberg, fondement de la mécanique quantique.

[2] Feynman a illustré ainsi les surprises que l’on rencontre en physique des particules : sur un échiquier, les blancs ont deux fous dont l’un joue sur les cases noires, l’autre sur les cases blanches. Il est raisonnable d’anticiper que durant la partie ces fous joueront sur des couleurs différentes. Supposons cependant que le fou qui joue sur les cases blanches se fasse prendre, puis qu’un pion blanc aille à dame sur une case noire et que le joueur lui substitue ce fou : alors les blancs auront deux fous sur les cases noires. Cette situation résulte d’un concours de circonstances rare mais non impossible, et qu’il serait difficile d’imaginer a priori.

[3] « L'une des raisons principales qui éloignent autant ceux qui entrent dans ces connaissances du véritable chemin qu'ils doivent suivre, est l’imagination qu’on prend d’abord que les bonnes choses sont inaccessibles, en leur donnant le nom de grandes, hautes, élevées, sublimes. Cela perd tout. Je voudrais les nommer basses, communes, familières : ces noms-là leur conviennent mieux ; je hais ces mots d’enflure... » (Blaise Pascal (1623-1662), De l'esprit géométrique et de l'art de persuader, 1655 [25], in Oeuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade 1954 p. 602)

[4] « The work is always: (1) completely un-understandable, (2) vague and indefinite, (3) something correct that is obvious and self-evident, worked out by a long and difficult analysis, and presented as an important discovery, or (4) a claim based on the stupidity of the author that some obvious and correct fact, accepted and checked for years is, in fact, false (these are the worst: no argument will convince the idiot), (5) an attempt to do something, probably impossible, but certainly of no utility, which, it is finally revealed at the end, fails or (6) just plain wrong. There is a great deal of "activity in the field" theses days, but this "activity" is mainly in showing that the previous "activity" of somebody else resulted in an error or in nothing useful or in something promising. » (voir Gleick, 1992, [12], p. 353)

[5] Nous utilisons ici la terminologie de la modélisation des « objets » : même si cette terminologie est peu satisfaisante, elle est consacrée par l’usage.

[6] Le conseiller de l’ANPE qui vient de trouver un emploi pour un chômeur serait mal venu de retenir celui-ci par la manche pour « finir de remplir le dossier » : le dossier reste incomplet pour une raison parfaitement admissible.

[7] Il est naturel que le contrôleur qui vérifie une déclaration fiscale examine soigneusement les données qui déterminent le montant de l’impôt et soit moins attentif aux autres.

[8] Jacques Roux, directeur régional du travail, in Interactions n° 2, juin 1997.

[9] « Keep it simple, stupid ! »

[10] Napoléon disait « j’aime les généraux qui ont de la chance ».

[11] Si l’ordinateur fait fait un million de millions (1012) de calculs par seconde il faudrait une durée égale à l’âge de l’univers pour trouver, en calculant tous les itinéraires possibles, le meilleur itinéraire entre 28 villes.