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Commentaire sur :

Simon Sebag Montefiore, Staline, la cour du Tsar rouge, Editions des Syrtes 2005

15 décembre 2005


Pour lire un peu plus :

- Pour une économie du respect
- Pratique du respect
- Fonder l'humanisme en raison
- A la découverte du Mal

- Pathologie du pouvoir

L’auteur a, pour entrer dans l’intimité de Staline, enquêté auprès des survivants de son règne et auprès des enfants de la nomenklatura stalinienne. On découvre ainsi un Staline familier, bon chanteur, père affectueux, mari aimant, charmant convive – mais aussi souverain paranoïaque qui au moindre soupçon envoie ses proches collaborateurs et leurs familles, ses compagnons de table comme ses compagnes de lit, vers la torture et la mort.

Ces potentats avaient, comme le dira Khrouchtchev, du sang sur les mains jusqu’aux coudes. En exterminant la paysannerie aisée (il suffisait de posséder deux vaches pour être classé parmi les koulaks !), ils priveront l’URSS des entrepreneurs qui lui feront ensuite cruellement défaut. Si aujourd’hui la Russie est plongée dans une crise démographique et morale profonde, c’est en grande partie à leurs crimes qu’elle le doit.

Les bolcheviks, ayant transformé l’héritage de Karl Marx en « science marxiste-léniniste », étaient certains de détenir la clé de l’histoire. Dans l’application de cette « science » ils se faisaient un devoir d’être rigoureux, brutaux et implacables.  

Certes, ils étaient travailleurs et intelligents : il fallait évidemment de l’intelligence, de la ruse, pour survivre dans un tel milieu ! Le plus intelligent de tous, le plus rusé et le plus dangereux, c’était Staline. Ce père aimant a ordonné le massacre sans jugement de milliers de gens qu'il ne connaissait pas, la destruction d’innombrables familles qui valaient bien la sienne.

*   *

On a tort de considérer l’intelligence comme la première parmi les qualités de l’être humain. Elle n’est qu’un outil et, lorsqu’il est mis au service d’un pervers, un outil des plus dangereux. Devant l’attitude des brutes intelligentes mais qui, à l’occasion, piétinent et détruisent des intelligences bien supérieures à la leur, on ne devrait éprouver que du mépris et du dégoût.

Mais ils ont suscité des fidélités, des dévouements qui fascinent. A la fin de sa vie Staline devint quelque peu gâteux. De plus en plus irritable et méfiant, il se mit à exterminer ses proches : ceux qui l’entouraient (Molotov, Mikoyan etc.) savaient n'être que des morts en sursis. Pourtant ils ont pleuré à la mort du tyran.

« C’est, me dit-on, parce que ce sont des Russes et que ce pays où les personnalités sont si extrêmes a besoin d’un pouvoir fort, fût-il arbitraire ». Je crois plutôt qu’il existe dans notre espèce un besoin de soumission, une tendance à la servilité. Les Allemands, peuple raisonnable s'il en fût, ont suivi Hitler jusqu'au bout et les Français, peuple raisonneur, ont suivi Napoléon. Lorsque dans une entreprise on dit d’un cadre, avec une admiration gourmande, « c’est un tueur, ses dents rayent le parquet », vraiment cela ne me fait pas sourire. J’ai trop souvent été témoin de l’admiration que l’on voue à des brutes :

- un directeur général déstabilise ses interlocuteurs en interrompant les exposés par des questions saugrenues et dit « je teste ainsi la solidité du projet ». En fait il inhibe l’expression de tout projet, bon ou mauvais. Ce matamore a besoin de compenser je ne sais quelle infériorité en humiliant ses collaborateurs.

- un directeur de cabinet, petit bolchevik à sa manière, fait régner la terreur en passant de façon imprévisible de la bonhomie joviale à la colère furieuse, et met volontiers en doute la loyauté des conseillers : « pour qui tu roules ? », leur dit-il en roulant des yeux menaçants.

- un économiste dont beaucoup de phrases commencent par « moi, personnellement, je pense que » : posant au futur prix Nobel, il a adopté la conception de la science la plus favorable à sa carrière et ricane devant toute autre démarche pour la déconsidérer et la bloquer. .

- un ingénieur joue des coudes pour arriver plus vite que les autres, fût-ce au prix de la calomnie et de la destruction des personnes. Tous lui attribuent de l’énergie alors qu’il n’est qu’un violent.

De ces hommes, on dira après coup « où il a passé, la moquette ne repousse pas »  : avec leur prétendue énergie, leur fameuse intelligence, ils ne laissent derrière eux que des ruines. Ces prédateurs prennent plaisir à détruire tout en prétendant construire.

Ceux qui les admirent dédaignent, du même mouvement, les personnes modestes, constructives, celles qui s'activent pour faire marcher les choses. Manifester du respect envers autrui, c'est prendre le risque de passer pour un faible.

Je ne sais devant quoi j’éprouve le plus de dégoût et de mépris : est-ce devant l'attitude des brutes, ou devant celle des personnes qui sont assez complaisantes, assez naïves, assez faibles, assez craintives, assez sottes pour les admirer, les suivre, les soutenir, et les assister avec dévouement dans leur travail de démolition ?