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A propos de la peine de mort

1er juillet 2001


Liens utiles

- Le sacrifice humain
- Canicule dans les prisons
- Sept ans de solitude

- A la découverte du Mal
-
Torture et liberté

- La personne du prisonnier est sacrée
- Le ministère de l'injustice

Robert Badinter est contre la peine de mort. Son argument, c’est " la vie humaine est sacrée ". Cet argument me gêne, un peu comme la phrase de Jack Lang " je suis contre toute forme de censure ". Ce sont là des propositions difficiles à réfuter et qui procurent le contentement de soi à celui qui les énonce. Pourtant elles sont vides de sens.

Pour un individualiste, la mort est une monstruosité métaphysique : elle fait disparaître le seul être qui soit, l'individu. L'individualisme romantique a répandu en Occident une peur affreuse de la mort, alors que dans les siècles antérieurs c'était plutôt l'enfer qui effrayait. Nous disons "la vie humaine est sacrée" avec un frisson nerveux, comme pour repousser indéfiniment l'échéance horrible. 

Or on ne devrait utiliser le mot " sacré " qu’avec beaucoup de prudence. Selon les époques ou les pays, ont été sacrés la liberté, l’égalité, la patrie, le roi, la religion, le territoire national, la famille, la race, l’individu etc. Des personnes ont " consenti le sacrifice suprême " pour ce qu’elles jugeaient sacré. Dans les civilisations de l'Amérique précolombienne (Toltèques, Aztèques etc.), les sacrifices humains étaient supposés apaiser les Dieux ; un paradis étant promis aux sacrifiés, certains d'entre eux allaient joyeusement à la mort.

Le sacré, c’est ce qui mérite que l’on y consacre sa vie, qu’on la sacrifie si les circonstances l’exigent. Dire que la vie humaine elle-même est sacrée, c’est donc s'enfermer dans un cercle vicieux. D’ailleurs, pourquoi s’arrêter à la vie humaine, ne pas dire que la " vie " tout court est sacrée ? il faudrait alors se résoudre à ne plus tuer les animaux, à ne plus récolter de plantes, et nous mourrions de faim. C’est donc pour une raison pratique, non pour une raison de principe, qu’on limite le sacré à la vie humaine. Cependant comme le sacré relève des principes, on ne peut le délimiter par des raisons pratiques. 

Si la vie humaine était sacrée, toute réflexion sur le suicide, l’euthanasie, l’acharnement thérapeutique etc. serait impossible sauf à affirmer qu’il faut " tout faire " pour prolonger la vie en " toute circonstance ", position pratiquement intenable. S’il existe une limite pratique au maintien en vie, la vie humaine peut-elle être sacrée ? Le caractère sacré de la vie était affirmé dans l’encyclique " Humanae vitae " qui, s’appuyant sur Aristote à travers saint Thomas, allait jusqu’à affirmer le caractère sacré de la nature " voulue et créée par Dieu ". Il s’agissait, après avoir démontré le caractère artificiel des contraceptifs, d’en condamner l’usage. Mais la même démonstration aurait pu s’appliquer à n’importe quel médicament. Que cette généralisation n’ait pas été évoquée, cela indique que la sexualité affole le raisonnement de l’Église tout autant qu’elle l’obsède.

Les gens à l’esprit pratique disent " il ne faut pas condamner à mort, car alors l’erreur judiciaire serait irréparable ". Cet argument est à considérer même s'il ne se situe pas sur le plan des principes qui nous intéresse ici. Le fonctionnement de l’appareil judiciaire est, comme tout mécanisme pratique, sujet à l’erreur. Prendre ces erreurs à la légère, prétendre que tout condamné est coupable, accepter de payer l’ordre par l’injustice, c’est pécher à la fois contre l’humanité et contre le simple réalisme. La maturité, la prudence de l’appareil judiciaire sont des indicateurs de la qualité d’une civilisation. Quelque chose de très inquiétant, de très sombre, entache les pays dont les citoyens se réjouissent de voir l'appareil répressif fonctionner comme une machine aveugle. Aux États-Unis la " justice " assassine dans 30 États sur 50 : des condamnations à mort y sont prononcées sans que l’accusé ait été sérieusement défendu ; d’après une étude récente, 68 % des condamnés à morts seraient innocents. Toutefois cela ne concerne pas le principe de la peine de mort, mais la négligence déplorable avec laquelle ce principe est parfois administré.

Existe-t-il du sacré, existe-t-il une chose à laquelle nous devons être prêts à sacrifier notre vie ? oui sans doute ; c’est la chose qui donne sens à notre vie, une vie qui aurait perdu son sens ne valant pas d’être vécue. Mais il faut être prudent pour définir cette chose sacrée. Il convient que le sacré soit à distance de la pratique, qu’il oriente le champ du sens, indique une direction à l’action, en laissant ouverte les questions du " quoi faire " et du " comment faire " pratiques. Il faut que sa définition fournisse une orientation, non une prescription.

Qu’avons-nous, nous êtres humains, de tel que sa perte détruirait le sens de notre vie, et que nous soyons donc prêts à sacrifier notre vie pour le sauvegarder ? rien d'autre que notre humanité même, que chacun de nous, criminel ou non, possède entièrement et que nous partageons tous. Placer le sacré dans l’humanité, ce n’est pas édicter une prescription pratique précise, mais orienter le champ de l’action, lui conférer sens et perspective. Dire "l'humanité dans la personne est sacrée", c’est énoncer une proposition à la fois plus ample et moins précise que "la vie humaine est sacrée".

Supprimer la peine de mort, c'est sans doute se donner bonne conscience, mais est-ce respecter l’humanité dans la personne ? Si on ne tue pas, on emprisonne. La prison est-elle respectueuse envers l’humanité du prisonnier ? On peut évaluer la qualité d’une civilisation selon le pourcentage des prisonniers dans la population (1 pour mille en France, 1 pour cent aux États-Unis) et selon les conditions pratiques de détention. "J'étais prisonnier, et tu es venu me voir " (Matthieu, 25). Le prisonnier, c’est le personnage emblématique de notre époque : l’exclu est éloigné de la société par une barrière invisible, et chacun est enfermé dans la prison intime de ses préjugés et de ses convictions. Chacun a besoin d’être " visité ", et le prisonnier est donc notre frère en un sens très profond. Mais cette réflexion-là mènerait loin ; revenons à notre sujet.

Quelle est la meilleure façon de respecter l’humanité d’un criminel : l’emprisonner, le faire soigner par des psychiatres, ou le tuer ? Certains criminels, porteurs de pulsions violentes, ont la mort pour seule perspective, comme l’euthanasie pour certains malades incurables souffrant de maladies douloureuses. Faut-il la leur refuser ? Cette question n’est pas de celles que l’on peut trancher par la prescription " tu ne tueras pas ". Le respect dû à l’être humain ne saurait s'y réduire, non plus qu’à de bons sentiments ou des émotions.

La loi israélienne dit " la peine de mort n’est pas pratiquée en Israël, sauf… ". Cette façon de dire me semble la bonne. Oui, la peine de mort doit être une exception ; il ne faut l’administrer que dans des cas très particuliers. Mais il ne faut pas l’exclure par principe, pas plus qu’il ne faut l’administrer à la légère. Exécuter Adolf Eichmann, ce n’était pas manquer de respect à son humanité. C’était un acte de miséricorde envers ce pauvre être mécanisé, un acte de respect envers la mémoire de ses victimes.

Enfin le débat de principe sur la peine de mort est vain si on ne s’interroge pas sur les pratiques judiciaires, sur le respect envers les personnes que la justice tient entre ses mains, sur la maîtrise de la force nécessaire à la guerre, au maintien de l’ordre ou à l’action secrète. Il serait dérisoire d’avoir la douceur pour principe et pour pratique la violence. Notre culture a tendance à confondre la violence avec l’énergie, et l’image du monde que les médias diffusent l’y encourage. La phrase de Jack Lang " contre toute forme de censure " est hypocrite : les programmes audiovisuels sont autant de cours d’éducation civique.

Que l’on ne me dise pas que cette formation à la violence est inefficace, donc sans conséquences. La programmation doit-elle tenir compte de cette responsabilité ? Si oui, cela ne constitue-t-il pas une censure, certains programmes étant exclus de la diffusion ? Cette censure-là n’est-elle pas nécessaire ? si oui, ne faut-il pas définir ses critères de sorte qu’elle puisse être intelligente ?

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