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A propos du mot "numérique" 

3 mars 2001

Que d'émotions autour de ce terme ! la "fracture numérique" mettrait en péril la cohésion sociale ; l'ordinateur exposerait tous les arts, toutes les représentations, à une "numérisation" constituant un danger culturel majeur.

C'est pis encore lorsque l'on utilise le terme anglais "digital", qui se traduit par numérique, mais qui en français désigne ce qui est relatif au doigt. "Son digital" est une expression qui ne veut rien dire et ahurit le badaud - c'est sans doute le but visé par ceux qui jugent cet ahurissement favorable au commerce. 

Revenons-en à "numérique". Il est vrai que dans l'ordinateur, au cœur du processeur qui effectue les opérations, n'existent que deux niveaux différents d'une tension électrique qui servent à coder des 0 et des 1, des "bits". L'information que l'utilisateur traite (texte, images, calculs, sons) est transformée en bits par une cascade de codes qui, partant de l'information d'origine, la traduisent ou l'interprètent en une série de langages pour parvenir enfin au microcode que le processeur exécutera.

Ce codage ultime, a-t-il une influence sur l'information d'origine ? non, puisqu'il ne fait que la transcrire. Si je tape une fable de La Fontaine sur mon ordinateur, le texte sera sur l'écran avec toutes ses nuances et connotations, toute sa puissance évocatrice ; le fait que les caractères soient codés en octets (huit bits) n'enlève rien à son contenu poétique ; les conventions de traitement de texte que j'utilise pour le mettre en page, elles aussi transcrites en bits pour être exécutées, ne font que faciliter sa lecture.

L'ordinateur, qui fait ici fonction de machine de traitement de texte, utilise un codage "numérique". Il est incapable d'interpréter le texte lui-même : il ne fait qu'aider à sa présentation. On ne peut pas dire pour autant que la fable de La Fontaine soit "numérisée". Elle reste ce qu'elle est, un texte poétique qui vise par ses suggestions et sa musicalité à émouvoir le lecteur et à éveiller son intelligence.

Parodions, en le transposant, le raisonnement des adversaires du "numérique" : "Comment voulez-vous que l'écriture, qui consiste à tracer de petits signes noirs sur du papier blanc, puisse reproduire la richesse du langage humain, les nuances que celui-ci peut véhiculer ? comment pourrait-on décrire des couleurs quand on écrit en noir sur du blanc ?" etc. 

Cette transposition met a nu le procédé utilisé par les sophistes pour susciter doute et perplexité : on feint de croire, en confondant diverses couches du processus, que la physique du support rétroagit sur le contenu du texte. MacLuhan disait, il est vrai, "le média c'est le message". Mais il disait cela non pour énoncer une vérité de fait, mais pour signaler un danger potentiel. En outre, il ne voulait pas dire "les ondes électromagnétiques, c'est le message de la télévision", mais "les conditions économiques, sociales, de la production des programmes télévisuels ont sur leur contenu une influence qui peut être déterminante ".

C'est en considérant les conditions pratiques, sociales, culturelles de la mise en oeuvre de l'ordinateur, de son utilisation, que l'on peut raisonner sur ses apports, leurs limites et leurs dangers. Il est par contre inefficace de partir d'une critique du "numérique" : ce terme, lorsqu'il fonctionne comme un épouvantail, inhibe le discernement.