Organisation et organigramme

 6 mai 2003

Pour poster un commentaire

On associe souvent au mot « organisation » le dessin d’un organigramme, arbre renversé qui représente le découpage des responsabilités légitimes et la hiérarchie du commandement. Du DG, stratège suprême, un « râteau » descend vers les DGA, puis vers les directeurs. Cependant certaines directions simples ne sont rattachées à aucun DGA, et sur le tronc de l’arbre se raccordent quelques branches latérales (en jaune clair dans le graphique ci-dessous) :

L'organigramme délimite les sphères de pouvoir, balise les sentiers que la carrière peut suivre, définit dans l'entreprise autant de « villages gaulois » qui servent de repères aux identités. Chargé de tant de symboles, il est naturel qu'il soit fallacieux : il ne faut pas le prendre au pied de la lettre. Le découpage officiel des directions masque leur découpage officieux : l’affichage des missions et responsabilités vise, dans la logique du « compromis managérial », à éviter des conflits et à calmer les amours-propres. Certains directeurs ont, en fait, plus de pouvoir que les DGA dont en principe ils dépendent [1]. Les directions rattachées directement au DG, et placées au dessus du « râteau » des autres directions, sont soit des nœuds de pouvoir important, soit des unités que l’on a mis là parce que l’on ne savait où les placer.

L’interprétation de l’organigramme officiel nécessite donc un commentaire officieux qui, par définition, n’est pas publié, et qui seul permet de reconstituer l’organigramme « vrai » dont nous donnerons des exemples ci-dessous.

Le découpage des DGA et des directions varie d’une entreprise à l’autre. Toute entreprise produit et vend ; elle comporte aussi des fonctions « support » : gestion des ressources humaines, finance, informatique, juridique, communication ; parfois, elle fait de la R&D, parfois elle s’est associée à des partenaires. On trouvera par exemple le découpage suivant :

Supposons que nous sachions reconstituer l’organigramme « vrai », et que nous placions tout en haut, comme branches latérales de l’arbre, les directions ou DGA les plus importantes pour le DG. L'organigramme ainsi reconstitué révèle les priorités, la culture de l’entreprise :

Culture d’ingénieur

Le DG s’intéresse principalement à la production et au commercial, et il accorde beaucoup de soin à l’arbitrage entre ces deux directions. Les autres directions sont considérées comme des fonctions support de ces deux activités. Cette forme d’organisation convient bien aux entreprises industrielles. Elle était la plus courante avant les années 70 (dans les entreprises innovantes, l'articulation principale se serait située entre la R&D, partie la plus innovante de la production, et le commercial).

Culture médiatique

Dans le courant des années 80 et 90 on a vu se généraliser l’organisation suivante dans les entreprises de service :

Le DG accorde l’essentiel de son attention à l’image de l’entreprise auprès du conseil d'administration, des créanciers et du marché boursier ; les directions qui accaparent son attention sont la communication et la finance. Les autres fonctions de l’entreprise, y compris « production » et « commercial », sont considérées comme des supports à la gestion de l’image.

Vers une autre culture ?

Supposons que le DG prenne au sérieux des phrases comme « le système d’information est stratégique », « l’essentiel de la valeur est créé par le système d’information » etc. Alors il accordera l’essentiel de son attention aux deux pôles responsables du système d’information (Maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'œuvre ; voir « qui dirige l’informatique ? »), confiés chacun à une direction.

Il convient que la relation entre ces deux directions soit mutuellement respectueuse (il en était de même, dans la phase industrielle, pour la relation entre les directions « production » et « commercial »). Des tensions sont inévitables, car chacun des deux directeurs a ses propres priorités et doit respecter ses propres contraintes. Il revient donc au DG d'assurer entre ces deux directions une fonction d'arbitre pour éviter l'explosion : il doit « faire descendre les barres de graphite dans le réacteur » et encourager la mise au point de compromis constructifs.  

La dénomination de ces directions n’est pas stabilisée aujourd’hui, et la direction informatique a souvent été baptisée « direction du système d’information » (DSI), ou même « direction des systèmes d’information ». Voici quelques dénominations envisageables :

L'administration américaine est en train de mettre en place une organisation de ce type dans ses « agences », qui sont l'équivalent de nos directions d'administration centrale ou de nos ministères. Comme l'appellation « CIO » (« Chief Information Officer ») a été prise depuis longtemps par le responsable de la maîtrise d'œuvre informatique, les directeurs de la maîtrise d'ouvrage prennent le titre de « CTO » (« Chief Technology Officer »). Cette répartition des dénominations va au rebours du bon sens, puisque la maîtrise d'ouvrage est plus proche de l'information et la maîtrise d'œuvre plus proche de la technique ; mais c'est le compromis qui a été trouvé pour partager en deux l'acronyme « IT » (« Information Technology ») sans remettre en question la dénomination déjà attribuée à la maîtrise d'œuvre.  


[1] Le « coup du cavalier » est la manœuvre par laquelle un subordonné établit des rapports personnels confiants avec le supérieur de son chef, en sautant comme aux échecs par dessus ce dernier. Dès lors celui-ci ne peut pratiquement plus exercer d’autorité sur ce subordonné.

Pour lire un peu plus :
- Restaurer le mot "informatique"
- Qui dirige l'informatique ?
- Servitude et grandeur du DSI
- De l'Informatique

www.volle.com/opinion/organisation.htm
© Michel VOLLE, 2003 GNU Free Documentation License