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Servitude et grandeur du DSI

6 mai 2003


Liens utiles

- Servitude et grandeur de la maîtrise d'ouvrage
- Qui dirige l'informatique ?
- Quels rôles pour le DSI ?
- Restaurer le mot "informatique"
- Organisation et organigramme

On a pris l’habitude, en France, d'appeler « DSI » le directeur chargé de la plate-forme technique informatique et télécoms. Cet acronyme se déploie en « directeur du système d’information » et parfois – comme si une entreprise pouvait avoir plusieurs systèmes d’information – en « directeur des systèmes d’information » au pluriel. Aux États-Unis, on le nomme « CIO » (« Chief Information Officer »).

Il est malencontreux que l’on ait donné un tel titre  à celui qui dirige la maîtrise d’œuvre du système d’information : le système d’information n’est-il pas également l’affaire des métiers utilisateurs, ces maîtrises d’ouvrage qui doivent le modéliser, le « spécifier », le définir de façon pertinente en regard de leurs besoins ? les maîtrises d’ouvrage ne sont-elles pas, à l’intérieur de l’entreprise, les « clients » de la direction informatique ? le système d’information n’est-il pas de la responsabilité conjointe de ses maîtrises d’ouvrage et de sa maîtrise d’œuvre ?

Une crise

Mais laissons là les questions de terminologie. Le DSI, puisque DSI il y a, est aujourd'hui en crise : sa « durée de vie » diminue. Au milieu des années 90, un DSI restait en fonction 4,7 ans en moyenne ; aujourd’hui, cette durée se réduit à deux ans[1]. Le « turn over » est donc très rapide. L’entreprise n’est pas sûre d’avoir, demain, besoin d’un DSI alors qu’il est (semble-t-il) si simple d’externaliser l’informatique ou de recourir à des progiciels. La fonction informatique se serait-elle banalisée ?

La « simplicité de l’informatique », quelle illusion ! les illusions fleurissent lors des périodes de transition, quand un changement de repères suscite le désarroi ; et nous sommes dans une période de transition. Le rôle de l’informatique dans l’entreprise s’est transformé à la fin des années 90, avec l’introduction du traitement du langage naturel dans l’informatique de communication, la fusion de la donnée et du commentaire dans les documents XML, l’approche du système d’information par les processus etc. Les outils se sont diversifiés, le discours commercial est devenu de plus en plus séduisant (mais pas plus sincère). Les directions générales, qui n'ont jamais été un repaire d'experts en système d'information, sont complètement dépassées. Alors il est tellement reposant de croire que l’« outsourcing » peut résoudre tous les problèmes ! 

Définir les frontières

Bien sûr il peut en résoudre quelques-uns. La direction informatique, tout comme l’entreprise dans son ensemble, doit savoir modifier son périmètre. Quelles sont les tâches qu’il convient de réaliser en interne ? celles qu’il vaut mieux confier à un fournisseur ? quelles sont, parmi les spécialités selon lesquelles s'est diversifiée la compétence de l'informaticien, celles dont on pourra rentabiliser la formation et l’entretien au sein de la DSI, et celles que l’on devra se procurer auprès des SSII, mieux placées pour les rentabiliser ? Faut-il conserver quelques développeurs en interne, ou transformer la direction des études en gestionnaire de contrats ? Parmi les logiciels dont l’entreprise a besoin, quels sont ceux qu’il vaut mieux acheter sur étagère, sous forme de « progiciels » ou même d’ERP, et quels sont ceux qu’il est préférable de spécifier et de réaliser soi-même (ou de faire réaliser sur mesures par des fournisseurs ?) Lorsqu’un produit est développé par une SSII, comment se l’approprier, comment s’approprier les outils qui ont servi à l’élaborer ? 

Ces questions préoccupent le DSI. Les solutions extrêmes sont inefficaces : tout développer en interne serait absurde (que l’on pense au traitement de texte, aux tableurs). Tout acheter sous forme de progiciels, de boîtes noires, serait risqué : dans le cœur de métier l’entreprise a plus d’expertise que le fournisseur d’ERP, il ne faut donc pas espérer que celui-ci puisse rendre le service nécessaire. Mais dans la graduation qui s'étale entre ces extrêmes, où se trouve la frontière raisonnable ?

Il est d’autant plus délicat de la situer que ses paramètres sont évolutifs. La solution raisonnable aujourd’hui ne le sera plus demain : la technique aura progressé, un nouveau produit sera sorti, etc. Le DSI doit donc assurer une veille technologique. Comment évolue l’offre des SGBD ? des EAI ? des ERP ? des machines, réseaux, langages ? que penser (et faire) de Linux ? de XML ? des Web Services ? de XQuery ? 

Dans sa relation avec une innovation, le DSI passe par des étapes. Tout d’abord il l’ignore parce qu’elle est née loin de lui. Puis elle est portée à sa connaissance (les commerciaux sont à l'informatique ce que les visiteurs médicaux sont à la médecine) : une alarme s’allume dans son esprit, mais il reste en observation. Alors il lance une expérience à petite échelle pour voir comment cela marche et faire acquérir par ses personnels un premier savoir-faire. Ensuite il étudie la possibilité de l’utiliser dans l’entreprise : il en parle au DG, la présente au CSSI, prépare l’investissement, forme ses personnels. Enfin, l’innovation est introduite « en vraie grandeur » dans l’entreprise. Parfois l'ensemble de cette démarche est rapide, parfois elle prend des années. Comment faire pour ne pas prendre trop de risques tout en évitant de se mettre en retard par rapport à l’état de l’art ? comment faire pour ne pas être dupe d’un discours commercial toujours séduisant ?

Fonctionnement et ressources humaines

Tout en réfléchissant à ses frontières et en observant l’évolution technique, le DSI doit veiller au bon fonctionnement de l’informatique. Il est en effet à la tête d’une usine qui ne doit jamais s’arrêter. Peu importe qu’un PC se « plante » ici ou là, mais une panne générale serait une catastrophe : les chaînes de production s’arrêtent, les files d’attente s’allongent, les agents râlent tout en essayant de se débrouiller, les clients s'énervent, l'image de l'entreprise en prend un coup. L’architecture des mainframes, serveurs, routeurs, réseaux, doit donc être sécurisée, robuste, supervisée en continu. Les informaticiens doivent être insérés dans une organisation qui garantit la qualité de leurs travaux.

Or cette ressource humaine est difficile à gérer : il s’agit d’une population de spécialistes et les spécialistes sont toujours tentés de s’organiser en corporations mutuellement hostiles. On trouve donc à l’intérieur de la DSI plusieurs sociologies ombrageuses : les opérateurs qui font tourner les mainframes et les serveurs ; les développeurs qui écrivent les codes et les chefs de projet qui pilotent les contrats avec les SSII ; le support aux utilisateurs, dispersé sur le territoire et dans des centres d’appel ; les administrateurs, les superviseurs ; les hommes des réseaux télécoms ; les responsables de la qualité, de la sécurité, des méthodes, de l’architecture etc. Le DSI doit les recruter, les organiser, arbitrer leurs conflits, faire prévaloir l'intérêt de l'entreprise sur celui de leurs corporations. 

Fournisseurs

L’architecture informatique, c’est un ensemble de « solutions » qui chacune combinent des machines, réseaux, systèmes d’exploitation, logiciels et interfaces. Le choix d’une solution suppose d’évaluer, au milieu d’un charivari commercial assourdissant, la qualité des « briques » qui la composent, leur aptitude à s'intégrer, la réalité des performances, la pérennité des fournisseurs, la viabilité des techniques.

Il faut savoir se faire respecter des fournisseurs : comme tout fournisseur a dans son catalogue quelques mauvais produits qu’il doit pourtant fourguer, et dans ses équipes quelques mauvais ingénieurs qu’il doit pourtant caser, le client incompétent sera nécessairement mal servi. Pour obtenir un service convenable le DSI doit connaître les fournisseurs, comprendre les contraintes auxquelles ils sont soumis, savoir parler leur langage.

Maîtrises d'ouvrage

Le DSI est lui-même un fournisseur pour les métiers de l’entreprises, les maîtrises d’ouvrage. Il doit percevoir leurs besoins réels à travers des demandes souvent non priorisées, confuses, inflationnistes et versatiles. Sa tâche sera facilitée s’il a en face de lui une maîtrise d’ouvrage professionnelle, capable d’exprimer des besoins pertinents, sobres, cohérents, stables, de modéliser son système d’information, fournir des spécifications claires, suivre les projets, former les utilisateurs, bref d’utiliser au mieux les ressources que l’informatique lui apporte.

Il est vrai que la cohabitation avec une maîtrise d’ouvrage professionnelle suppose une négociation d’égal à égal. Cela sera parfois difficile pour le DSI car, pour se soulager des préoccupations que nous venons de décrire, il peut être tenté par l’ivresse du pouvoir. Quiconque dispose d’un budget annuel de quelques dizaines ou centaines de millions d’euros, dont une bonne partie consacrée à des marchés, est la cible des flatteries que prodiguent les fournisseurs (voir « Corruption et honnêteté dans l'entreprise »). Soumis à l’alternance de cette douche tiède et de la douche froide qui leur est administrée en comité de direction, certains DSI deviennent susceptibles et irritables : le mauvais caractère est chez les DSI une maladie professionnelle. 

A chacun ses soucis ! la maîtrise d’ouvrage a aussi les siens (voir « Servitude et grandeur de la maîtrise d’ouvrage »). Il serait logique, et certainement salubre, de faire en sorte que les budgets informatiques fussent administrés par les maîtrises d’ouvrage, qu’il s’agisse des projets ou des coûts de maintenance. Il est bon en effet qu’elles supportent le coût de leur SI, puisque celui-ci est pour elles un actif comme les autres et peut-être plus important que les autres. Mais cela ne pourra se faire que lorsque les maîtrises d’ouvrages seront devenues assez professionnelles.

L'entreprise peut-elle se passer du DSI ?

Revenons au DSI. Les responsabilités que nous venons de décrire, sont-elles vides, négligeables ? certes non. Les entreprises qui croient se débarrasser des difficultés de l’informatique en faisant sauter leur DSI se font des illusions.

- Lorsqu’elles signent un contrat d’« outsourcing », le fournisseur est tout sourire ; mais bientôt elles découvriront que la relation avec lui est plus difficile que la relation avec une DSI interne, car il est moins proche et se retranchera derrière le contrat en utilisant s'il le faut toutes les astuces de la procédure judiciaire. 

- Lorsqu'elles accélèrent le « turn over » des DSI, elles empêchent la capitalisation de l’expertise et dégradent le climat chez les informaticiens. 

- Lorsqu’elles se jettent à corps perdu dans les bras d’un ERP (et, pourquoi pas, d’un EAI aussi pour faire bonne mesure), elles s’engagent dans une démarche plus complexe qu'elles ne le pensent et dont elles auront tôt fait de découvrir les coûts cachés.

Est-ce à dire qu’il ne faut rien « outsourcer », qu'il ne faut jamais recourir aux ERP et EAI ? certes non ! Mais il faut que quelqu’un sache définir avec précision la frontière de ces prestations, les articuler avec l’architecture de l’entreprise, négocier avec les fournisseurs et les utilisateurs, éclairer la perspective sur les quelques années qui viennent, encadrer la population ombrageuse des informaticiens : cela, c’est la tâche du DSI. Comment l’entreprise pourrait-elle se passer de lui ?


[1] Source : Acadys, www.acadys.com, réunion du 28 avril 2003 avec M. Christophe Legrenzi.