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Moderne et post-moderne

3 février 2006


Pour lire un peu plus :

- Histoire des techniques
- Keynes et ses combats
- Bibliographie de François Jullien
- L'avenir climatique
- "Les béances d'une philosophie du raisonnable"

Moderne et postmoderne

Pour comprendre le postmodernisme, il faut d’abord voir ce qu’est la modernité qui lui a donné naissance et dont il s’est détaché[1].

Modernité

La modernité fut à la fois économique et culturelle. Au plan économique, elle est corrélative de l’industrialisation, du système technique mécanisé[2] qui a prévalu de 1860 à 1970 (ces dates sont « floues », bien sûr).

Ce système technique a permis un équilibre économique fondé sur le cycle typique que l’on a appelé « fordisme » et que Ford a résumé en disant « je distribue des salaires élevés à mes ouvriers de telle sorte qu’ils puissent acheter les voitures qu’ils produisent »  : la production est fonction de la demande, la demande est fonction du revenu, le revenu est fonction de la production.

Les usines demandaient une main d’œuvre abondante pour accomplir des tâches répétitives et standardisées ; l’équilibre du marché du travail était en principe endogène, sauf lors des années 30 où se produisit une crise de confiance envers l'appareil productif qui a altéré les anticipations et provoqué un excès d’épargne.

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Pour concevoir ses produits, l’industrie a au XIXe siècle imité les produits d’un artisanat qu’elle évinçait, se contentant de les modifier pour faciliter la production de masse. C’est seulement dans les années 1920 qu'est apparu le design, événement caractéristique de la modernité et qui consiste à introduire dans la conception des produits industriels (mobilier, équipement ménager, automobiles etc.) un niveau de qualité esthétique et de commodité semblable à celui des meilleurs produits de l’artisanat. La part du design dans la conception des produits industriels restera toutefois minoritaire, les entreprises prétendant que les clients préféraient des produits banals.

Corrélativement, on voit apparaître à la fin du XIXe siècle, puis s’épanouir dans les années 1920, ce que l’on a appelé l’art moderne. On peut citer, à titre d’échantillon, la musique d'Albert Roussel (1869-1937), la peinture de Paul Klee (1879-1940), l’œuvre de Marcel Proust (1871-1922) en littérature, l’école du Bauhaus en architecture etc.

Le principe de l’art moderne peut se résumer ainsi : alors qu’auparavant les œuvres d’art devaient obéir à des règles établies par la tradition et qui leur étaient donc extérieures, l’œuvre d’art moderne doit porter en elle-même les règles auxquelles elle obéit. Il en est résulté des œuvres d’une originalité unique, comme Le sacre du printemps (1913) d’Igor Stravinsky (1882-1971) ou A la recherche du temps perdu de Proust, mais aussi quelques impasses en musique comme en architecture et une abondance étonnante d'oeuvres médiocres en peinture, les créateurs étant désormais privés du corset que leur procuraient naguère les règles de l’art (même si ces règles n'avaient il est vrai jamais formé un barrage étanche contre la médiocrité).

Bien que l’époque de la modernité ait été marquée par des guerres auxquelles le système technique mécanisé a fourni des armes d’une efficacité inédite, bien que la force de travail ait été embrigadée à l’excès, les progrès du bien-être matériel que procura l’industrialisation (automobile, téléphone, logement, équipement ménager, cinéma) et l’élévation générale du niveau de vie, couplés au fonctionnement de l’ascenseur social, ont suscité un climat d’optimisme : dans l’ensemble de cette époque, on a cru au progrès, aux études, à la sécurité sociale etc.

Postmodernité

La postmodernité peut elle aussi se décrire sur les deux plans économique et culturel.

Au plan économique, le système technique mécanisé est progressivement évincé, à partir des années 1960 et surtout 1970, par un autre système technique que caractérise l’automatisation de la production. A la production de masse de produits standards succède la diversification ; à l’équilibre du marché du travail succède un chômage endémique, car l’automatisation supprime des emplois en même temps qu’elle abaisse les coûts de production.

L’optimisme qui avait caractérisé la modernité, l’espoir dans le progrès, font place alors au scepticisme sinon au pessimisme : le souci de l’environnement conduit à mettre en question non seulement les conditions pratiques de la production industrielle, mais la croissance elle-même (Jean-Marc Jancovici). Non seulement le postmoderne ne croit plus au progrès, mais il prévoit des catastrophes (Jean-Pierre Dupuy) à l’horizon de l’évolution économique et démographique.

Devant les produits industriels, le consommateur post-moderne est blasé : l’automobile, le téléphone, la machine à laver sont pour lui des biens banals qui n’éveillent plus ni l’émotion, ni le sentiment de la réussite sociale. Il réagit contre la « société de consommation ». Cependant de nouveaux produits issus du système technique contemporain attirent son attention : ordinateurs, téléphones mobiles, baladeurs, DVD etc. Ces produits répondent tous à un besoin de communication et de distraction, voire à un désir d’évasion dans le monde de l’imaginaire.

Au point de vue culturel, le postmodernisme est marqué par le retour de l’œuvre sous le joug des règles et procédés que la modernité avait répudiés. L’architecture abandonne les formes raides et un peu froides qu’avait affectées la modernité pour renouer avec le maniérisme des ornements, colonnes et chapiteaux (Ricardo Bofill). La peinture renoue avec la technicité la plus exigeante pour imiter la précision de la photographie (hyperréalisme). En littérature, une création poétique abondante se publie à compte d’auteur alors que l’art du roman fait une large part au médiatique (Michel Houellebecq). Le cinéma est envahi par les effets spéciaux.

L’effort vers la qualité reste minoritaire comme dans toutes les époques, et comme le design a été minoritaire dans la modernité. On note un effort vers la sobriété dans la mode (Marc Jacobs) comme dans la conception des machines (voitures hybrides), et une curiosité renouvelée envers les sagesses orientales (François Jullien).


[1] On dit « modernité » et non « modernisme », parce que ce dernier terme a été utilisé pour désigner l’application de la recherche philologique à la Bible à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. L’Église a d’abord condamné cette recherche, puis elle l’a acceptée et même encouragée à partir du concile Vatican II. 

[2] Bertrand Gille, Histoire des techniques, Gallimard, La Pléiade, 1978