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Le Système Statistique Européen, utopie ou défi ambitieux ?

par Yves Franchet

2 mai 2004


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- Résumé et table des matières

III - Le renforcement d'Eurostat

A. La situation au milieu des années 80

A la veille de l’explosion de la demande statistique communautaire, Eurostat et la statistique communautaire sont en crise.

L’absence de reconnaissance politique par la Commission du rôle de la statistique dans l’intégration européenne a conduit la relation entre Eurostat et ses utilisateurs à se détériorer. Les services politiques de la Commission – emploi, recherche, entreprises etc. - ne s’adressent pas à Eurostat pour leurs besoins statistiques, mais à des consultants privés ou à des bureaux nationaux. Parfois ils font leurs propres enquêtes. Eurostat ne reçoit pas les ressources en personnel et budget qui lui permettraient de répondre aux besoins. La qualité des statistiques utilisées par la Commission se dégrade. L’absence de coordination entre les services conduit à des coûts élevés pour la Commission et les fournisseurs de données : duplication d’enquêtes, paiement des mêmes données par plusieurs services. Le lien entre Eurostat et ses utilisateurs se dénoue. La période 1981-1985 voit se succéder trois Directeurs Généraux et la Commission envisage de découper Eurostat en morceaux qui seraient rattachés aux services utilisateurs. Le Parlement, chargé de faire un rapport sur cette situation (Rapport Dunn, 1982), conclut à la nécessité de maintenir l’unité d’Eurostat et demande à être consulté à l’avenir sur les travaux.

Au début de la Commission Delors, la Commission et les pays membres expriment des vues divergentes sur la statistique communautaire. Le Commissaire en charge de la statistique déclare que les développements statistiques nécessaires au Marché unique, notamment le remplacement des statistiques douanières des échanges intra-communautaires par une collecte directe, doivent être abordés en priorité, mais sans que les ressources d’Eurostat n’augmentent. Les pays Membres – Directeurs généraux des INS – notent la contradiction que comporte cette déclaration, demandent un renforcement d’Eurostat et souhaitent participer au choix de son Directeur Général qui doit être un professionnel reconnu.

Les préoccupations du parlement et la nomination d’un nouveau Commissaire chargé de la statistique, Hennig Christophersen, conduisent la Commission à prendre une série de mesures pour améliorer la situation, y compris à recruter un Directeur Général ayant une forte expérience de la statistique et de la gestion dans les organismes internationaux en dehors du système habituel de quotas nationaux pour ce type de poste.

B. Mesures de renforcement

Avec l’appui successif de trois Commissaires – Christophersen, de Silguy, Solbes – Eurostat va prendre une série de mesures pour mieux répondre aux besoins des utilisateurs actuels et préparer les besoins prévisibles liés aux avancées politiques de l’intégration – Acte Unique, Traité de Maastricht, Traité d’Amsterdam. Ces mesures concernent la programmation des travaux statistique des services de la Commission, le mode de fonctionnement interne d’Eurostat, enfin la mise en place d’un Système Statistique Européen (SSE) fondé sur le renforcement des relations entre Eurostat et les pays Membres.

Programmation des travaux 

La croissance de la demande de statistiques face à des ressources limitées exige une programmation des travaux statistiques et une définition des priorités. Des programmes statistiques communautaires pluriannuels ont existé dans les décennies passées. Le programme statistique 1989-1992 fait pour la première fois l’objet d’une décision du Conseil. Il est accompagné d’une fiche financière qui définit l’enveloppe budgétaire des moyens financiers nécessaires pour le mettre en oeuvre. Un groupe de travail « programmation » est mis en place avec les pays membres.

Trois comités sont créés par le Conseil pour renforcer cette programmation :

-         Le Comité du Programme Statistique (CPS, 1990), présidé par Eurostat et composé des Présidents des INS des pays membres : il prépare les décisions du Conseil pour la mise en œuvre des travaux statistiques :

-         Le Comité Européen de l’Information Statistique Economique et Sociale (CEIES, 1992), composé de représentants de la société civile – universités, syndicats, patronat – et de statisticiens, présidé par le Commissaire en charge de la statistique. Il est chargé d’éclairer la Commission sur les besoins en statistique de la société européenne. 

-         Le Comité pour les Statistiques Monétaires, Financières et de Balance des paiements (CMFB, 1992), qui associe les banques centrales, les INS, la BCE et Eurostat dans le développement de l’information statistique nécessaire pour la politique économique et monétaire.

La programmation des travaux améliore le dialogue et le partenariat entre les diverses parties associées à la conception et la mise en œuvre des tâches statistiques liées à l’intégration européenne. Elle met en lumière les difficultés de cette mise en œuvre, notamment l’inadéquation des ressources humaines et financières pour répondre à la croissance de la demande des utilisateurs, la difficulté de fixer des priorités face à l’expansion des champs de l’intégration, le besoin de renforcer le partenariat entre la Commission et les pays membres.

Le CMFB va fonctionner de façon exemplaire. Créé avant même qu’existe la Banque Centrale Européenne, il va susciter un partenariat étroit et efficace entre les INS et les Banques Centrales et se révèlera bien adapté pour préparer l’entrée de onze pays membres dans la zone Euro, pour gérer la politique monétaire au sein de cette zone, enfin pour préparer dans les domaines monétaires et financiers le grand élargissement de l’Union en 2004.

Le CPS sera le cœur du partenariat au sein du SSE. Il se structurera pour préparer les discussions et les agendas par la création d’un « groupe partenariat » qui est son comité exécutif, et d’un groupe des « Amis du Président » rassemblant des représentants de haut niveau de quelques pays membres autour du Directeur Général d’Eurostat : cela permettra d’atteindre à cadence accélérée la comparabilité avec les Etats-Unis pour les délais de production des principaux indicateurs économiques. Le CPS deviendra un centre de réflexion stratégique sur les défis à venir et préparera l’élargissement de 2004 pour l’ensemble des statistiques non monétaires.

Le fonctionnement du CEIES sera plus problématique. Le défi est peut-être déjà trop ambitieux avec 18 pays, la qualité du dialogue entre producteurs et utilisateurs de statistique variant beaucoup d’un pays à l’autre. Le CEIES a certainement contribué à améliorer le dialogue entre producteurs et utilisateurs de statistiques dans les pays où ce dialogue était peu développé ou inexistant. Mais une réforme de son fonctionnement, jusqu’à présent retardée, sera nécessaire pour atteindre un minimum d’efficacité dans un ensemble à 28 pays.

A partir de 1997, le Parlement européen joue un rôle accru dans la programmation car la statistique devient un domaine de codécision, et il s’impliquera fortement dans la définition des programmes statistiques 1998-2002 et 2003-2007.

Coordination de la demande statistique des services de la Commission

La Commission prend conscience à la fin des années 80 des coûts qu’entraîne le manque de coordination des travaux statistiques, à la fois pour les fournisseurs d’information (duplication), les utilisateurs (qualité médiocre) et les finances communautaires. Elle crée en 1991 un Comité Directeur de l’Information Statistique (CDIS) qui demande à Eurostat de coordonner l’ensemble des travaux statistiques, de fournir un service d’information statistique adapté aux besoins prioritaires des services de la Commission, de renforcer la transparence budgétaire du coût de la statistique, et de mettre en œuvre un SSE.

Le CDIS ne fonctionnera jamais correctement. Les responsables des services utilisateurs ne s’impliqueront pas dans la définition de leurs besoins et de leurs priorités et délègueront cette tâche à de jeunes fonctionnaires n’ayant ni vision d’ensemble, ni pouvoir de décision. Le CDIS sera progressivement remplacé par un retour à des relations bilatérales bien structurées entre Eurostat et chaque service, ce qui s’avèrera beaucoup plus efficace sauf dans les cas où fait défaut la volonté politique (deux ou trois services).

Mais il manque toujours à la Commission une réflexion globale sur le coût de la statistique. Elle n’a pas accepté d’investir suffisamment dans cette activité essentielle pour la gouvernance européenne et elle a toujours repoussé les tentatives d’Eurostat pour amener la discussion sur ce thème au niveau politique. Ainsi de nombreuses études d’impact des programmes communautaires sont réalisées sans qu’ait été évoquée l’origine ni le coût des statistiques utilisées pour ces études.

L’approche bilatérale développée par Eurostat l’a conduit à accepter la responsabilité de programmes d’assistance technique d’une grande ampleur financière dont la réalisation a été décentralisée au sein du SSE.

Les résultats techniques de ces programmes ont été remarquables, comme en attestent les évaluations disponibles, mais le contrôle de leur gestion financière a souffert de l’absence de ressources humaines allouées par la Commission à Eurostat pour cette fonction.

Réforme du management d’Eurostat

Les réorganisations administratives vont rarement au delà d’un changement de l’organigramme ou de l’introduction d’un vocabulaire lié à une mode politique passagère. Le changement du mode de fonctionnement d’Eurostat à partir de 1993 est beaucoup plus ambitieux, et il va s’étaler sur dix ans. Autour d’une mission clairement définie – « fournir à l’Union européenne un service d’information statistique de qualité » - et déclinée jusqu’à l’unité, il s’agit de mettre en place un « plan d’entreprise » suivant les principes de la qualité totale, et de professionnaliser la capacité de gestion du personnel. Le modèle s’inspire de la démarche du Forum Européen pour la Gestion par la Qualité (EFQM). Sa mise en œuvre suppose une forte implication du personnel d’Eurostat, qui valide les progrès grâce à des enquêtes de satisfaction périodiques, et contribue ainsi à leur réalisation. Il se fonde aussi sur une évaluation périodique des travaux par les diverses catégories d’utilisateurs. Il implique un souci constant de formation du personnel, d’analyse des faiblesses et de leur élimination, de communication avec les partenaires utilisateurs et le personnel.

Cette réforme préfigure l’idée initiale de la réforme de la Commission lancée à partir de 2000. Elle permet d’accroître la productivité d’Eurostat, d’améliorer sa flexibilité, ce qui lui permettra de répondre aux défis de l’Euro, de l’élargissement et de la production d’indicateurs structurels et conjoncturels.

Bien que ce nouveau modèle de fonctionnement administratif s’éloigne du modèle classique, et après une période de réticence, la majorité du personnel s’est engagée dans la voie du changement

L’accent sur la communication et le dialogue internes, la mise en place de réseaux informels – par exemple les groupes « Egalité des chances » et « Qualité » - ont permis au personnel de percevoir un engagement partagé et accru sa motivation au travail, malgré les tensions sur les ressources : la croissance de la motivation est perceptible dans les enquêtes d’opinion périodiques auprès du personnel. 

C. Renforcement de la coopération internationale : le programme commun CEE / OCDE / Eurostat

La statistique communautaire se développe rapidement sous la pression de la demande. Elle crée pour les pays Membres une série de normes et standards statistiques qui constituent le « langage statistique communautaire ». Ce langage doit être compatible avec le langage international des statisticiens défini par les Nations Unies, l’OCDE et le FMI.

En Europe, trois institutions sont impliquées dans le développement de standards statistiques : l’OCDE, la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies (CEE) et Eurostat.

L’intensification des travaux d’Eurostat, sous la stricte contrainte de délai fixée par l’intégration, l’a conduit à proposer de renforcer la coopération entre ces trois institutions. Cela va se traduire par un programme annuel de travail conjoint qui élimine toute duplication des travaux et permet une collaboration efficace, tout en respectant les délais imposés par l’intégration. Le langage statistique de l’Union européenne devient une partie intégrée du langage statistique international.

Une structure de gestion efficace est mise en place pour assurer le fonctionnement de cette coopération.

Le Comité exécutif CEE/OCDE/EUROSTAT assure un dialogue permanent et rend compte annuellement aux membres de la C.E.E au sein de la Conférence annuelle des statisticiens européens. Il confie l’analyse des problèmes à des groupes ad hoc qui présentent des options sur lesquelles la Conférence Annuelle décide. Ce fonctionnement permet de réduire la durée de la Conférence de 10 à 2 jours, alors que le nombre des décisions et la qualité des travaux s’accroissent.

Cette organisation servira de modèle quelques années plus tard pour améliorer les structures de coopération statistique au niveau mondial, l’Europe ayant servi d’expérience pilote.

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