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L’informatique de communication dans l’entreprise

23 octobre 2001

L’informatique s’est historiquement développée autour de la saisie, du traitement et de la mise à disposition de données structurées. Avec l’Intranet, avec le Groupware, se développe une « informatique de communication ». Il ne s’agit plus de traiter des données : les ordinateurs sont utilisés pour envoyer du courrier (messagerie), partager les agendas, diffuser la documentation, etc.

Cette informatique de communication utilise certes des données structurées (dans le carnet d’adresse de la messagerie,  dans les masques de saisie ou de consultation de la documentation électronique), mais elles ne représentent qu’une faible partie du volume total de l’information manipulée. Les textes envoyés par messageries, ou consultables sur le Web, sont écrits en langage naturel, et ils utilisent la souplesse et la puissance de communication de ce langage.

Dès lors se posent deux questions :

- quelles sont les potentialités de l’informatique de communication, comment la mettre au service de l’entreprise ;

- quelles doivent être les relations entre l’informatique de communication et l’« informatique de calcul », ce dernier terme désignant l’informatique consacrée au traitement et à la diffusion des données structurées ;

- quelle est la nature des obstacles que l'informatique de communication rencontre aujourd'hui, et comment on peut les surmonter. 

Potentialités de l’informatique de communication

Pour faire le tour de ces potentialités, le mieux est d’examiner les applications qu’elle permet :

Messagerie

La messagerie permet entre les personnes une communication asynchrone bénéficiant de la précision de l’écrit et de la souplesse du langage naturel. Elle comporte aussi des pièges, car son bon usage relève d’un savoir faire ou même d’un savoir vivre particulier. Son insertion efficace dans l’entreprise ne peut donc pas être immédiate : il faudra que les personnes apprennent à s’en servir, que l’usage soit l’objet d’une animation.

La messagerie est aussi un moyen de communication avec le monde extérieur (clients, partenaires, fournisseurs). Les relations commerciales en sont modifiées.

Annuaire électronique

Les adresses des utilisateurs de la messagerie sont stockées dans un annuaire électronique ; celui-ci peut être enrichi, et contenir également le numéro de téléphone, l’adresse postale, la photographie, la description des fonctions etc. de la personne. L’annuaire est alors non seulement utile à la messagerie, mais à bien d’autres fonctions : un annuaire téléphonique sur papier sera toujours moins facile à tenir à jour qu’un annuaire électronique.

On peut introduire dans l’annuaire assez d’informations pour alimenter le profil de la personne, à partir duquel il est possible de déduire ses habilitations : l’annuaire joue alors un rôle de pivot dans la gestion des droits d’accès au système d’information, et il devient un élément important du référentiel de l’entreprise.

Agenda partagé

L’agenda électronique permet aux personnes d’organiser leur emploi du temps ; couplé à un ordinateur de poche, il remplace avantageusement l’agenda papier. Mis en réseau, il facilite l’organisation des réunions et la prise de rendez vous par une assistante ou un collègue. Son bon usage suppose, comme celui de la messagerie, l’acquisition d’habitudes nouvelles.

Documentation électronique

La documentation électronique remplace avantageusement la documentation sur papier : elle permet de mettre à disposition sans délai des textes à jour, elle évite les oublis de la diffusion sur papier ainsi que l’empilage des notes apportant des corrections aux versions antérieures, elle compense dans une certaine mesure l’inégalité qui existe entre les divers établissements de l’entreprise (directions régionales, direction générale) en ce qui concerne l’accès à l’information. Le moteur de recherche  aide à trouver facilement la réponse à une question, les liens hypertexte permettent de relier entre eux les documents concernant des thèmes voisins.

Dissémination sélective

La dissémination sélective permet d’éviter l’excès de documentation, cet excès qui fait que l’on dit que « trop d’information tue l’information » : elle vise à fournir à chacun l’information dont il a besoin et uniquement celle-là. Ce but est impossible à atteindre dans l’absolu (ne serait-ce que parce que les besoins d’une personne évoluent), néanmoins on peut mettre en œuvre des démarches qui limitent le « bruit » de la documentation.

 L’une des solutions les moins coûteuses consiste, en partant des résultats d’une segmentation (donc d’une démarche de marketing interne visant à classifier les utilisateurs selon leurs besoins), à diffuser des documents diversifiés, adaptés chacun aux besoins d’un segment. Ces « newsletters » peuvent par exemple indiquer les liens hypertexte vers des documents dont la consultation est utile, en les associant à un bref commentaire.

Ces « newsletters » apportent une valeur ajoutée à la documentation électronique dont elles font connaître les nouveautés, ou dont elles publient des revues thématiques. 

Rédaction coopérative

Lorsque plusieurs personnes concourent à la production d’un même document, la gestion des versions successives est toujours délicate. Il faut éviter la collision entre corrections portant sur un même paragraphe (« concurrence »), ou les incohérences résultant de révisions mal coordonnées, ou encore les ruptures de ton et de forme résultant de la diversité des rédacteurs.

Avec les outils de rédaction coopérative, l’ordinateur facilite la gestion des versions et révisions.

Workflow

Le workflow permet de baliser le circuit des documents (tables d’adressage préprogrammées), et de normaliser leur présentation (masques de saisie). Il se situe à la charnière de l’informatique de communication et de l’informatique de calcul, car il se prête à la saisie et au traitement des données structurées et soulève donc des problèmes de cohérence qui relèvent du SI. Il permet par ailleurs de calculer et diffuser automatiquement des indicateurs de volume et de délai : ainsi la qualité des processus devient visible.

La réalisation des workflows simples utilise des outils bureautiques, notamment la messagerie. Les grandes applications informatiques peuvent utiliser elles aussi des workflows, mais pour des raisons de performance et de volumétrie elles utilisent des outils plus puissants que les outils bureautiques.

Les workflows sont adaptés aux procédures bien définies et balisées ; leur mise en œuvre est plus difficile quand on n’est pas dans un contexte « procédural ». Les procédures bien définies sont nombreuses dans l’entreprise et elles suivent des parcours relativement simples (traitement des demandes de congé ou de mutation, des lettres de réclamation des clients, préparation du budget annuel, instruction des demandes de crédit, des contrats avec les fournisseurs et les partenaires etc.) Dans ces cas-là, le workflow est très efficace pour un coût modeste.

Gestion de la connaissance

On parle beaucoup de « Knowledge Management » : il est devenu banal de dire que la compétence est l’actif le plus précieux de l’entreprise. Les outils que nous avons venons d’énumérer (documentation électronique, rédaction coopérative, dissémination sélective etc.) facilitent déjà la capitalisation et le partage de la connaissance dans l’entreprise.

On peut aussi identifier les experts capables de dépanner oralement une situation bloquée, gérer l'annuaire qui permet de les atteindre en fonction de la question à traiter : la gestion de la connaissance mobilise ainsi non seulement la documentation électronique, mais les centres d’appel, workflows, messagerie etc.

Forum

Un forum (en anglais « news ») c’est une boîte aux lettres ouverte qui peut être consultée par plusieurs personnes (voire par tout le monde, selon la largeur de l’habilitation). Le forum apporte à la documentation professionnelle  un complément utile, voire indispensable : il permet aux utilisateurs de poser des questions lorsque la documentation est incomplète ou ambiguë, et aux experts d’apporter des réponses qui entoureront la documentation d’un halo de commentaires. Les fournisseurs d’outils informatiques ont ainsi mis sur le Web des forums destinés aux développeurs, et où l’on peut trouver des réponses aux questions que la documentation technique ne prévoit pas (comment contourner les bogues répertoriées, comment utiliser le produit dans des cas non classiques etc.)

Un forum doit être animé : l’animateur purge les messages obsolètes (ou non pertinents en regard du thème du forum), introduit dans le corps de la documentation le contenu des messages importants, et sollicite les experts pour que toute question reçoive une réponse dans un délai décent. Un forum mal animé devient une poubelle remplie de message inutiles et dont les utilisateurs se détournent, et il cesse rapidement d’être consulté.

Outillage du manager

Le manager doit pouvoir trouver sur son PC les outils qui facilitent son travail : il utilisera comme tout le monde la messagerie, l’agenda, la documentation électronique ; en outre il disposera d’un accès à des tableaux de bord, des systèmes d’aide à la décision et des systèmes de gestion de projet qui fournissent indicateurs et alarmes. Il peut utiliser Excel pour faire des calculs sur les données ou pour les visualiser.

Exploitation d’enquête

Il est facile, pour réaliser une enquête interne à l'entreprise, de construire l’échantillon par tri dans l’annuaire, puis d’envoyer à la liste des personnes enquêtées un message contenant un lien vers le formulaire stocké sur un serveur Web. On peut programmer des relances vers les personnes qui n’ont pas répondu.

Des programmes produisent automatiquement l’exploitation des enquêtes en fournissant les tris à plats, tris croisés et représentations graphiques qui facilitent et outillent l’interprétation des résultats. Il est ainsi possible de produire rapidement, pour un coût faible, des enquêtes auprès des clients, des utilisateurs du SI etc. (à condition toutefois que l'enquête soit réalisée dans de telles conditions que le taux de réponse soit élevé ; si le taux de réponse est faible, le coût de l'enquête par voie électronique devient prohibitif)

Accès externe à l’Intranet

Les cadres de l’entreprise prennent vite l’habitude d’utiliser l’informatique communicante ; ils veulent alors pouvoir consulter la documentation professionnelle depuis leur domicile, leur lieu de villégiature ou les locaux d’un client. De même, des partenaires vont avoir besoin d’accéder à la documentation professionnelle en même temps qu’aux données. Par ailleurs, certains des documents destinés à l’Intranet pourront utilement être placés sur le serveur Web public de l’entreprise.

L’ouverture de l’informatique de communication à l’extérieur pose évidemment des problèmes de sécurité.  

Sécurité

L’informatique communicante est d’autant plus vulnérable aux attaques malveillantes qu’elle est plus ouverte au monde extérieur – et cette ouverture est nécessaire dès que l’on veut pouvoir servir des utilisateurs nomades ou des partenaires.

Il ne faut pas prendre la menace à la légère : les « hackers » pénètrent les SI pour parasiter leurs ressources de mémoire et de puissance (ils installent leurs fichiers sur vos disques et font tourner vos processeurs), ou pire pour les saccager en détruisant des fichiers. Ils introduisent des virus aux effets variés mais toujours destructeurs. Toute entreprise est la cible de plusieurs attaques par jour, souvent maladroites mais parfois très affûtées.

Il faut installer des pare-feux sur le réseau (« firewalls »), des programmes antivirus, hiérarchiser les serveurs de façon à isoler les données les plus sensibles, etc. La sécurité est devenue pour les informaticiens une spécialité, en relation avec l’administration de réseau.

Administration

Les utilisateurs du SI n’ont pas tous les mêmes droits : seules certaines personnes sont habilitées à consulter et/ou modifier les informations dans les fichiers de paie, ou à rédiger les textes de la documentation électronique. Les droits de création, modification, consultation des données et documents peuvent être définis et gérés de façon très fine. Pour cela, plusieurs fonctions doivent être remplies par le SI

Identifier l’utilisateur : à chaque utilisateur est associé un identifiant qui permet de trouver la liste de ses droits. Une personne malveillante pourrait utiliser l’identifiant de quelqu’un d’autre : l’identification est donc sécurisée par l’authentification (mot de passe, ou – procédés plus sûrs – reconnaissance de l’empreinte digitale, du fond de l’œil etc.)

Une fois l’utilisateur identifié et l’identification authentifiée, l’habilitation fournit la liste de ses droits. Cette liste peut être spécifique pour chaque personne, mais sa gestion supposerait dans ce cas un lourd travail d’administration. Il sera souvent commode de définir les habilitations en fonction du profil de l’utilisateur fourni par l’annuaire (service, grade, fonction, participation à des projets etc.) Alors l’administration des habilitations se réduit à la tenue à jour d’une table définissant les habilitations à partir des profils, sous réserve que les profils soient eux-mêmes tenus à jour.

L'informatique de communication dans le SI

L’informatique de communication introduit dans le SI une dimension nouvelle. Elle facilite la communication de textes en langage naturel (et même la communication multimédia, avec l’outillage des plateaux téléphoniques et l’insertion dans les documents de liens vers des dessins, photographies, films ou enregistrements sonores). Elle se met ainsi au service de l’information connotée, alors que l’informatique de calcul s’était concentrée autour de l’information conceptuelle, des données structurées dont les référentiels fournissent la définition.

Ces deux formes d’informatique se superposent et s’articulent  dans le SI : à l’occasion de la communication, des données structurées sont consultées ou saisies. Les outils de l’informatique communicante s’insèrent dans le processus de travail (à tel moment de la procédure, la personne transmet un dossier en pièce jointe à un message, amorce un workflow, consulte la documentation professionnelle etc.)

L’informatique communicante permet de féconder les résultats statistiques par leur commentaire : une donnée, un tableau de nombres sont incompréhensibles s’ils ne sont pas documentés et commentés.

L’articulation entre l’informatique communicante et l’informatique de calcul est l’un des enjeux du SI. Cet enjeu dépasse la mission d’une direction de la communication, même si celle-ci est chargée de la maîtrise d’ouvrage de l’Intranet.  Ainsi, par exemple, le déploiement des workflows suppose la réorganisation des processus de travail.

L’informatique de communication obéit à des contraintes de « temps réel » moins exigeantes que celles de l’informatique de calcul. Le « temps réel » doit en effet être défini en fonction de l’application considérée : une fraction de seconde pour l’informatique transactionnelle, quelques minutes ou beaucoup plus pour l’informatique de communication. Lorsque l’on envoie un message, on pense qu’il sera lu au mieux dans la demi-journée : peu importe alors si sa transmission prend quelques minutes ; le « temps réel » de mise à jour d’une documentation électronique sera souvent de l’ordre de la journée.

L’administration des réseaux tire parti de la diversité des « temps réels » pour optimiser l’utilisation des ressources en définissant des priorités entre services, réservant des capacités pour les services les plus exigeants, gérant des files d’attentes, etc.

Difficulté de la mise en place

Malgré ses promesses, l'informatique de communication se heurte à des difficultés qui ralentissent sa mise en place.

Pour les informaticiens dont l'expérience s'est formée dans l'informatique de calcul, l'informatique de communication ne ressemble à rien : "ce n'est pas de l'informatique", disent-ils, car elle ne traite pas les données structurées. Utiliser les réseaux de PC pour faire de la messagerie, de la documentation électronique, des workflows, c'est selon eux encombrer les réseaux d'un débit de type nouveau et aléatoire (car si les utilisateurs abusent des pièces jointes, si les workflows se multiplient, il ne restera plus de place pour les applications transactionnelles). 

Pour les managers, qui souvent ne sont pas personnellement utilisateurs du PC, les apports de l'informatique de communication sont douteux. Pourquoi utiliser la messagerie, alors que l'on peut s'envoyer des lettres ? pourquoi l'agenda électronique, alors que l'agenda papier est si commode ? la documentation électronique apporte des économies de temps et d'argent qu'ils perçoivent, mais les workflows leur semblent une pure abstraction, un artefact créé par des intellectuels : habitués à une informatique de calcul dont le formalisme est loin de celui des métiers, ils ne "réalisent" pas que l'informatique puisse outiller d'aussi près les procédures et la maîtrise de leur qualité. 

Enfin, personne ou presque ne perçoit les potentialités qu'apporte l'insertion de l'informatique de communication dans le SI. Le consultant qui les évoque en réunion voit les paupières descendre sur les yeux de certains auditeurs ; d'autres entament une conversation, certains se lèvent pour aller aux toilettes : ces signaux indiquent que la question n'est pas mûre et qu'il faut abréger l'exposé. 

Pourtant l'entreprise avance. Elle met en oeuvre les outils de l'informatique communicante, mais l'image qui s'impose est celle d'une personne qui avancerait à reculons, poussée par une main appuyée sur sa poitrine. Celui qui avance à reculons ne sait pas où il va et trébuche sur le moindre obstacle. La main qui le pousse, c'est la loi de Moore avec la progression ininterrompue des performances, et c'est l'offre des outils d'informatique communicante que cette progression permet. 

Certains opposent, dans l'évolution du SI, une logique de l'offre et une logique de l'usage. Les tenants de l'usage disent que ce sont les utilisateurs qui décident de l'évolution du SI : ils tirent argument des détournements d'usage parfois surprenants qui se produisent lorsque l'on met en place un nouvel outil. Les tenants de l'offre disent que c'est du côté d'Intel et Microsoft qu'il faut chercher le ressort de l'évolution, car les utilisateurs ne peuvent utiliser que ce qu'on leur fournit. Ces deux approches oublient un niveau de décision essentiel : celui des concepteurs, des organisateurs, des managers, qui choisissent parmi les possibilités offertes. Leur compréhension des enjeux déterminera le rythme d'implantation de l'informatique communicante. Ces deux approches oublient aussi que l'évolution est ici dialectique, résultant non de l'un des deux ou plutôt des trois pôles, mais de leur interaction. 

Voici un scénario classique : d'abord l'entreprise a installé une messagerie sous Netscape non sans quelques errements  : on ouvre d'abord des boîtes fonctionnelles pour les entités (direction, agence etc.), puis quelques boîtes personnelles, et il faut du temps pour voir qu'il est difficile de gérer une diffusion d'informations associant la messagerie pour les personnes équipées, le papier pour les autres ; finalement, chacun est doté d'une boîte personnelle. 

On découvre alors que Netscape permet non seulement la messagerie, mais la documentation électronique. La direction de la communication est chargée de développer un Intranet visant à remplacer la documentation papier par des écrans. Mais il s'agit d'informatique, la dir com n'y connaît rien. D'ailleurs les informaticiens, qui avaient freiné la messagerie "par crainte d'un encombrement du réseau", sont encore plus réticents pour l'Intranet. Réunions, calculs de volumétrie, définition de normes, le temps passe. Finalement l'Intranet documentaire se met en place. 

Alors on s'avise que l'Intranet peut servir aussi de vecteur à la communication interne et d'outil de travail pour les entités de l'entreprise (directions, directions régionales etc.), et une diversification se met en place. Quelques pionniers envisagent d'utiliser l'Intranet pour des enquêtes, ou encore pour monter des workflows. L'informatique exprime sa préoccupation, les réunions se multiplient, les expertises et chiffrages s'accumulent : les workflows ne risquent-ils pas en effet d'encombrer les réseaux ? etc.

Certains consultants disent que les choses ne peuvent pas avancer autrement, compte tenu des réticences des informaticiens, de l'inculture des managers et de l'appréhension suscitée par les changements d'organisation qu'apporte l'informatique communicante. Oui, disent-ils, l'entreprise avance à reculons, sans conscience claire des enjeux, en trébuchant sur de menus obstacles,  poussée par l'offre comme dans le scénario ci-dessus. Celui qui veut faire entrevoir à l'entreprise la logique de cette évolution ne sera pas entendu. Il faut procéder par petites réalisations exemplaires : elles seront imitées et par contagion l'entreprise évoluera. Ainsi on installe une petite messagerie, puis progressivement chacun aura sa boîte aux lettres ; ou bien on met en oeuvre un petit workflow, et son efficacité suscitera l'intérêt et l'imitation. En suivant cette tactique, on fait progresser l'entreprise alors même qu'elle n'a pas compris où elle allait.

C'est bien là le problème. Si pour le moment l'informatique communicante ne peut avancer qu'au coup par coup, il faudra bien qu'un jour l'entreprise perçoive cette évolution de ses procédures de travail, son organisation, son positionnement etc. Il faudra bien qu'elle se retourne pour avancer non plus à reculons mais en regardant devant soi, pour ne plus trébucher mais enjamber les obstacles, pour évaluer les enjeux et décider sans se laisser intimider par l'épouvantail du trafic (les dépenses en télécoms représentant 10 % du budget informatique, les recherches d'économies devraient considérer en priorité les 90 % restants). Il faudra que les concepteurs, les décideurs, se réveillent quand on parle d'informatique communicante, et comprennent qu'il s'agit non de fantaisies d'intellectuels, non de caprices d'utilisateurs trop curieux de possibilités nouvelles, mais d'une évolution qui doit recevoir toute leur attention. 

La tactique de la "petite réalisation exemplaire" a d'ailleurs des limites. J'ai installé chez certains de mes clients des workflows efficaces dont les utilisateurs étaient très satisfaits. Cela n'a pas suffi à déclencher l'imitation. On peut parcourir une certaine distance en avançant à reculons, mais il faut une volonté lucide pour sauter en hauteur.