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Clearstream : de quelle affaire parle-t-on ?

4 mai 2006

Pour lire un peu plus :

- La face cachée du Monde
- Révélation$
- La boîte noire
- La domination du monde
-
Le blog de Denis Robert
- L’affaire Rhodia
- La Fronde

Bien avant que l’on ne parle du corbeau qui a diffusé de fausses informations, il existait une affaire Clearstream : celle qu'a décrite Denis Robert dans Révélation$, puis dans La boîte noire, et qu’il a enfin évoquée sous forme romanesque dans La domination du monde.

De deux choses l’une : ou bien Denis Robert s’est trompé du tout au tout, ce qui ne me paraît pas vraisemblable, ou bien il existe, au cœur de l’Europe, un système de blanchiment hautement rémunérateur qui permet de recycler, dans l’économie légale, l’argent sale acquis par la prédation et la corruption. Cette affaire-là est des plus préoccupantes et, si les partis politiques et les syndicats avaient un sens exact des priorités, c’est autour d’elle qu’ils auraient ameuté les manifestants, les étudiants, et non pas autour du CPE. Mais je ne sais pourquoi  – ou plutôt je crains de deviner pourquoi – Le Monde a fait tout son possible pour ne pas en parler.

*     *

L’affaire dont on parle maintenant est tout autre. Il ne s’agit pas de savoir s’il existe ou non un système de blanchiment – personne ne semble le mettre en doute, mais personne ne semble s’en émouvoir !

Il s’agit de savoir qui est derrière la manipulation qui a, en imitant le format des listings de Clearstream, tenté de faire croire que des hommes d’affaires et des hommes politiques français  – notamment Nicolas Sarkozy – avaient bénéficié de ce système.

Apparemment personne ne sait aujourd’hui qui a monté ce coup : il est même possible, dit le général Rondot, que les listings bidon aient été fabriqués par Clearstream elle-même pour jouer un bon tour aux indiscrets qui viendraient pirater ses fichiers informatiques.  

Mais des juges enquêtent. Ces juges-là aiment à perquisitionner les bureaux des ministres : ils avaient déjà fouillé celui de Thierry Breton (voir L’affaire Rhodia), ils ont fouillé celui de Mme Alliot-Marie, ils se préparent sans doute à en fouiller d’autres. Je ne crois pas que l’on puisse trouver grand-chose dans le bureau d’un ministre mais l’effet médiatique de la perquisition est garanti : un coup est porté à la légitimité de l’exécutif.

*     *

La loi soumet cette affaire au secret, comme toutes celles qui sont en cours d’instruction. Mais le compte rendu d’audition du général Rondot a été publié in extenso par Le Monde, et jour après jour les pièces de la procédure sont publiées par la presse.

C’est là que commence la troisième affaire Clearstream. Car enfin : que Dominique de Villepin ait ou non prononcé le nom de Nicolas Sarkozy lors d’une réunion n’est en rien contraire à la loi et rien n’indique aujourd’hui qu’il ait cherché autre chose que la vérité sur cette manipulation. Rien n’indique non plus qu’il en ait été l’instigateur. Qu'il ne se soit pas hâté de communiquer à Sarkozy les résultats d’une enquête qui le disculpait, c’est mesquin, ce n’est pas d’un bon camarade, mais c’est de bonne guerre selon les mœurs brutales du milieu politique et ce n’est pas un délit.

Par contre, le viol du secret de l’instruction, lui, est un délit. Qu’un journal publie hâtivement des documents obtenus par la fraude, je ne sais pas si c’est un délit parce que je ne connais pas bien le droit de la presse. Qu’il les accompagne de commentaires qui en orientent et en biaisent l’interprétation, par contre, je peux le percevoir en tant que lecteur - simple lecteur, mais lecteur attentif.

*     *

On devine que « se farcir un premier ministre », pour un journaliste, « c’est la gloire[1] », de même que pour un juge « c’est la gloire » sans doute de perquisitionner le bureau d’un puissant. Le pouvoir médiatique, le pouvoir judiciaire s'engagent ainsi, la main dans la main, dans une lutte à mort (la mort symbolique, s'entend, mais ce n'est pas la moins cruelle) avec le pouvoir exécutif : c’est ainsi que fonctionnent les frondes, cela ne date pas d’hier (voir La Fronde).

La posture de vertu offusquée qu’adoptent les médias a quelque chose d’un peu comique. Que l’on se rappelle l’affaire qui a contraint Dominique Strauss-Kahn a quitter le ministère des finances : en ont-ils fait du raffut autour de documents antidatés, de l’analyse du papier et de l’encre, que sais-je ! Tout cela pour aboutir, après bien des dégâts, à un non-lieu accompagné d’attendus sévères envers l’instruction. Mais ces attendus ont occupé beaucoup moins de surface dans Le Monde que le récit de l’affaire – et après ce désaveu messieurs les journalistes ont secoué leurs oreilles, épousseté la poussière, et repris la position vertueuse du haut de laquelle ils jugent et décident avec volupté de qui est gentil, qui est méchant.


[1] Les méthodes utilisées par Bob Woodward et Carl Bernstein pour « se farcir » Nixon ont été autrement rigoureuses, me semble-t-il. Mais Le Monde n’est pas le Washington Post.