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A propos de l'extrême droite

24 avril 2002


Liens utiles

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Histoire du négationnisme en France
- La France de Vichy
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A propos de l'antisémitisme
- Statistique et political correctness

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Le syndrome de la "political correctness"

Ceux qui ne connaissent pas l'extrême droite la croient stupide. Or elle a eu de grands talents comme Gobineau, Barrès et Maurras. Elle a une métaphysique, celle de la terre et du sang, de la race qui s'incarne dans les aïeux et se perpétue dans la descendance. Elle a un adversaire, la République issue de la révolution française, les droits de l'homme, et plus généralement toute pensée fondée sur le caractère universel de la nature humaine.

Elle méprise les faits, l'expérience, et leur préfère l'affirmation de ses valeurs : le négationnisme lui est naturel. Elle est donc hostile à la méthode scientifique, même si elle se sert de certains des résultats de la science. Elle veut que la nation reste conforme à une image idéalisée et intemporelle ; toute nouveauté, tout renouvellement lui semblent une décadence, toute immigration une souillure. Elle aime, dans la religion, le facteur d'ordre social : dans l'attente de la vie éternelle, chacun doit accepter son sort et rester à sa place, dans sa classe, à l'unique exception des chefs que leurs qualités mettent au dessus de la masse et qui sont destinés à la commander.

Dans son système, la liberté ne convient qu'aux chefs ; l'égalité est un mensonge ; la fraternité n'existe qu'au sein de la race, j'allais écrire de la meute. L'ensemble relève d'une philosophie sombre, désespérée, parfois suicidaire, à laquelle la violence sert d'exutoire. 

Même si elle se qualifie de "nationaliste", l'extrême droite est une internationale ; ce qui fait son unité, ce n'est pas son caractère national mais l'adhésion à une même métaphysique. Les personnes d'extrême droite se comprennent mieux entre elles, par dessus les frontières, qu'avec leurs compatriotes respectifs. 

J'ai connu des personnes d'extrême droite intelligentes même si elles étaient un peu marteau. Au début des années 50 l'abbé Potier, dans ses cours de catéchisme au lycée Montesquieu de Bordeaux, faisait l'éloge du régime "catholique" du général Franco. Certains de nos professeurs disaient estimer Salazar. J'ai à la même époque entendu des notables regretter qu'Hitler n'ait pas parachevé l'extermination des juifs. Quand j'ai vu des militants du FN défiler le 1er mai en brandissant des portraits de Pétain, j'ai reconnu cette famille d'esprit et retrouvé cette ambiance. 

*  *

L'extrême droite n'est pas un mouvement protestataire, elle n'exprime pas une mauvaise humeur superficielle. C'est un mouvement de pensée profond et cohérent, qui entend construire la cité dont on trouve l'esquisse chez Gobineau et Barrès. Il est d'origine française : il était naturel que le pays de la Révolution fût aussi celui de la Réaction. Il a inspiré les maîtres qui ont formé Mussolini et Hitler.

Sous Pétain, il a eu chez nous son heure. Déconsidéré à la Libération il s'est tu un temps, ne se montrant qu'à l'occasion des guerres coloniales. Mitterrand, dont l'une des nombreuses facettes reflétait l'extrême droite, l'a remis en selle. L'élection présidentielle fait revenir sous les feux de l'actualité les héritiers de Barrès et Maurras, Deloncle et Doriot, Vallat et Darquier de Pellepoix, de Brinon et Darnand.

L'esthétique de l'extrême droite a séduit des esprits d'une haute tenue intellectuelle. Ses premiers penseurs restaient dans une certaine mesure capables de relativiser les idées qu'ils manipulaient, mais  la pensée d'extrême droite se dégrade inéluctablement lorsqu'elle passe de l'abstraction à l'action précisément parce qu'elle refuse les enseignements que l'action apporte. Le "culte du moi" (Barrès), la préférence accordée à l'affirmation sur l'expérience, lui interdisent en effet de s'affiner et s'enrichir par la pratique. L'agitateur d'extrême droite, violent et convaincu d'avoir raison, est bien armé pour réussir un coup de main mais mal outillé pour gouverner. Son arrivée au pouvoir est une malédiction pour le pays qu'il séduit ou soumet.  

Il ne faut pas sous-estimer l'extrême droite : toute action suscitant une réaction, il est naturel que l'évolution des institutions politiques vers la démocratie, évolution en cours et qui comporte beaucoup d'ambiguïtés, ait suscité un mouvement de sens contraire auquel elle fournit des arguments. Étudier les idées de l'extrême droite permet de mieux savoir pourquoi nous voulons la démocratie, comment nous pouvons la construire, quels travers elle doit éviter. Construire la démocratie demande une réflexion, une méditation patiente sur notre histoire et nos valeurs. Je me méfie des indignations généreuses, des émotions à fleur de peau, des idées toutes faites, qu'elles soient colorées "de gauche" ou "de droite". La personne de Jean-Marie Le Pen m'est insupportable mais nous devons aller aux racines de la pensée qu'il véhicule pour la bien comprendre et mieux l'extirper, y compris dans nos propres réflexes.

Lecture recommandée : Zeev Sternhell, La France entre nationalisme et fascisme, trois volumes, Fayard 2000