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Statistique et « Political Correctness »

31 juillet 2004


Liens utiles

- Population & Sociétés
- A propos de l’extrême droite
- A propos de l’antisémitisme

- Prêcheurs de haine
- Le syndrome de la "political correctness"

Sur certains sujets sensibles (le sort des femmes, l’antisémitisme) circulent des données fausses que l’on hésite à rectifier par crainte de susciter une réaction exaspérée.

Les meurtres de femmes

Une amie m’a écrit : « En France, la principale cause de décès des femmes est le meurtre commis par leur compagnon ».

La durée moyenne de vie des femmes en France est de 83 ans, sept ans de plus que les hommes[1]. En général l’homme est plus âgé que sa compagne. Il faudrait, pour l’assassiner, qu’il sortît de son cercueil environ dix ans après sa mort ! La principale cause de décès des femmes, ce n'est pas donc le meurtre mais la vieillesse et les maladies qui l'accompagnent.

Mon amie a répondu « J'avoue une imprécision fautive : la principale cause de mort violente des femmes est le meurtre commis par leur compagnon. »

Pour 100 000 habitants, on a dénombré en 2000 en France 31 morts violentes, soit 8 % des décès : 17,5 suicides, 12,9 accidents, 0,7 homicides[2]. Les femmes se suicident deux fois moins que les hommes. La principale cause de mort violente des femmes, ce n'est pas le meurtre, ce sont les accidents.

Si l’on considère enfin les seuls homicides, dans la plupart des cas les hommes sont assassinés par des personnes avec qui ils sont en affaire alors que les meurtres de femmes sont commis le plus souvent en famille. Cela ne représente ni la majorité des morts, ni même celle des morts violentes. La phrase exacte est donc sans doute « la majorité des meurtres dont les femmes sont victimes sont commis par leur compagnon ».

Il faut préciser que les meurtres sont rares en France : l'INSERM a dénombré 419 homicides en 1999, dont 164 meurtres de femmes (http://sc8.vesinet.inserm.fr:1 080). Cette même année, 2 163 femmes ont péri dans des accidents de la circulation.

J’ai vu à la télévision un homme politique s’exclamer : « La principale cause de décès des femmes est le meurtre commis par leur compagnon, il faut faire quelque chose ! » Et toute l’assistance de communier dans la même indignation émue, à défaut d’exactitude...

L’antisémitisme

On trouve sur le site du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (www.crif.org) la liste des actes antisémites en France. Si l’agression physique est évidemment grave, les insultes que profère un déséquilibré ne méritent pas la même attention. Le décompte additionne tout.

Du 1er janvier au 20 juillet 2004 le CRIF a dénombré 281 actes antisémites (dont 71 agressions physiques), soit 1,4 par jour en moyenne (dont 0,3 agressions). Certains, sans doute, ne sont pas déclarés. La répartition est la suivante :

Le site du CRIF donne des indications sur chaque acte. Beaucoup sont des manifestations d’« incivilité » ou sont le fait de détraqués dont certains cherchent la notoriété médiatique qu'on leur accorde trop facilement. Parmi les coupables d'agressions ou de profanations on trouve, outre ceux dont on relève le « physique maghrébin », de ces skinheads qui prétendent défendre une « culture occidentale » dont ils n'ont pas la moindre notion.

Tout acte antisémite, tout acte raciste est un acte de trop ; je n'entends ici ni les relativiser, ni minimiser leur gravité. Mais il y a loin entre les données du CRIF et ce que j'ai lu dans ce journal américain qui parlait de « douze agressions antisémites par jour en France ». Qui a donc intérêt à dénigrer de la sorte notre pays, et dans quel but ?

Durant à peu près la même période, du 1er janvier au 1er juillet 2004, le terrorisme a tué en Israël 61 personnes et il en a blessé 195 (source : Ministère israélien des affaires étrangères). Il serait ridicule d'en conclure qu'Israël est antisémite.

Certains, transposant le discours d'avant-guerre sur la France « enjuivée », prétendent que la France est devenue « un pays arabe ». Comparons : les arabes israéliens représentent 16 % de la population d'Israël alors que les Français de culture musulmane représentent 7 % de la population française. Mais personne ne prétendra, ce me semble, qu'Israël est un pays arabe.

*  *

L'antisémitisme a eu sa place dans l'histoire de notre pays. A la charnière des XIXe et XXe siècles l’antisémitisme fut en France le fait de ceux, nombreux, qui refusaient la République – et, avec elle, l’émancipation des juifs en 1791 – au nom d’une idéologie nationaliste fondée sur le sol et sur le sang. L’affaire Dreyfus se situe dans la continuité du boulangisme. L'antisémitisme était alors répandu dans le clergé, l’armée, la noblesse, la bourgeoisie, bref dans les « bons milieux », comme dans les milieux populaires de tendance réactionnaire. La législation antisémite de Vichy ne fut pas imposée par l’occupant mais voulue par cette fraction de la population, dont l'accès au pouvoir à l'occasion de la défaite avait été pour Charles Maurras une « divine surprise » (voir Zeev Sternhell, La France entre nationalisme et fascisme, trois volumes, Fayard 2000, et aussi A propos de l’extrême droite).

D'autres pays que le nôtre ont été antisémites : l'Allemagne nazie bien sûr, la Russie des tsars puis des soviets, mais aussi les Etats-Unis où les universités avaient imposé un quota pour limiter le nombre des étudiants juifs[3], ce que n'ont jamais fait les universités françaises (mise à part bien sûr la période de l'occupation allemande).

Depuis les choses ont évolué, dans ces pays-là comme en France. On ne voit plus chez nous de ces Messieurs qui aimaient à casser les vitrines des commerçants juifs à coup de canne. Ceux qui accusent la France, ou l’Europe, de préparer aujourd'hui la « solution finale » du « problème juif » poursuivent, sous le masque de l’indignation vertueuse, un objectif géopolitique qu’ils se gardent d’expliciter[4].

*  *

Les inégalités, discriminations et mauvais traitements dont les femmes sont victimes sont intolérables. De même, l'acte antisémite nous révolte autant que tout autre acte raciste. Le raciste veut nous couper de l'humanité. L'antisémite cherche, en outre, à mutiler notre identité : les cultures d'origine chrétienne et musulmane s'enracinent en effet dans le judaïsme  (voir A propos de l’antisémitisme).

Je suppose que quelques-unes des phrases que contient cette fiche auront choqué certaines personnes, tant est grand le prestige de la « Political Correctness ». Nous avons pris la mauvaise habitude de préférer l'émotion à l'exactitude. Mais pour pouvoir lutter efficacement contre les pervers, ne faut-il pas d’abord être exact ?


[1] Gilles Pison, « Tous les pays du monde (2003) », Population & sociétés, n° 392, juillet-août 2003.

[2] Jean-Claude Chesnais, « Les morts violentes dans le monde », Population & sociétés, n° 395, novembre 2003.

[3] Voir James Gleick, Genius: The Life and Science of Richard Feynman, Vintage Books 1993.

[4] Voir par exemple Jean-Claude Milner, Les penchants criminels de l’Europe démocratique, Verdier 2003.