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Limites de la liberté de pensée

13 juin 2008

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Pour lire un peu plus :

- Liberté, liberté chérie

- Veritatis splendor : quelle vérité ?
Un de mes amis a publié un article consacré aux droits de l'homme dans lequel j'ai lu les phrases suivantes : "Je demande qu’on permette de douter même de l’évidence. Je dois pouvoir penser et dire que la Terre est plate".

Non, lui ai-je écrit, tu ne peux ni penser ni dire que la Terre est plate : la sphéricité approximative de la Terre est un fait d'observation et notre pensée, notre parole doivent se courber sous le joug de l'expérience.

"La déraison fait partie de la liberté de l'esprit, m'a-t-il répondu, et il vaut mieux proclamer ce droit pour tenir en échec le dogmatisme".

*     *

Lorsque Érasme publie Éloge de la folie il dit lui-même que c'est pour s'amuser. Il y a de la profondeur dans cet amusement, mais on aurait tort de le prendre au pied de la lettre. Dire, comme mon ami, que "la déraison fait partie de la liberté de l'esprit", c'est ignorer que la folie emprisonne celui qui la subit - et aussi qu'elle est, pour tout esprit en état de marche, une tentation constante dont il doit se défier.

Notre cerveau produit continuellement des idées et des images saugrenues, dont pourquoi pas celle d'une Terre plate. L'expérience, l'observation servent de garde-fou au sens le plus précis du terme.

Peut-on donc penser et dire que la Terre est plate ? Cela dépend du moment et du lieu. Dans notre lit, le matin, lorsque nous émergeons du rêve, nous sommes libres de penser et de marmonner n'importe quoi : n'avons-nous pas rêvé que nous volions, que nous sautions du haut d'une falaise, que nous nagions au fond de l'océan ?

Mais lorsque, éveillés, nous vivons et agissons dans le monde réel et tenons notre place parmi les autres, nous n'avons plus le droit de tenir de tels propos. Dire que la Terre est plate, en effet, c'est nier ce que nous ont appris les marins, les géographes, les physiciens et qu'attestent enfin les photographies prises par les cosmonautes. Bref, c'est affirmer n'importe quoi.

Si l'on est libre d'affirmer n'importe quoi, je peux affirmer que je suis la réincarnation de Jésus-Christ. Vous direz que je suis fou. Je répondrai, empruntant à mon ami sa phrase, que "la déraison fait partie de la liberté de l'esprit". Vous direz alors sans doute que le propos s'annule lorsqu'il s'affranchit de toute contrainte et vous aurez raison : la liberté de pensée est bornée par le constat des faits comme par les exigences de la logique.

*     *

Mon ami entendait s'opposer au dogmatisme. Mais il n'a pas vu que la vérité comporte plusieurs étages, plusieurs étapes. La vérité d'un fait ne se discute pas : la bataille de Waterloo a eu lieu, c'est un fait qu'il serait absurde de nier même si nous ne l'avons pas vu se produire de nos yeux. La vérité apodictique ne se discute pas non plus : si telles hypothèses sont posées, alors il en résulte logiquement telle conséquence.

Ce qui peut et doit se discuter, c'est ce qui se trouve en dehors de la portée de l'expérience comme de la déduction et c'est là le territoire du dogme. La sainte trinité, la divinité de Jésus, la virginité de Marie, l'immaculée conception, l'assomption, l'infaillibilité pontificale etc. : voilà des dogmes auxquels, en effet, chacun doit être libre d'adhérer ou non.

De même les hypothèses sur lesquelles sont bâties les théories scientifiques ne sont que des hypothèses : si elles ne sont contredites par aucune des expériences que l'on a su faire, il se peut qu'elles soient contredites demain par une expérience à laquelle personne n'a encore pensé. Alors, et quelle que soit leur qualité synthétique, il faudra les réviser.

Cela ne leur enlève rien de leur valeur. La vérité n'est pas, dans le domaine de la pensée, le critère ultime de la qualité : rien n'est plus vrai qu'une tautologie, pourtant elle n'apporte rien.

Les modèles théoriques sont toujours hypothétiques, en outre inévitablement simplificateurs. Ils répondent en effet à une ambition pratique : rendre compte de l'expérience sous la forme synthétique qui permet à la pensée de progresser, à l'action de se manifester. Ils ne portent pas le même coefficient de vérité que le compte rendu des faits ou qu'un raisonnement déductif, dont ils apportent cependant une synthèse précieuse.

*     *

Se prétendre libre de penser et de dire n'importe quoi, c'est renoncer au garde-fou de l'expérience et de la logique. Comme la parole est un acte social, c'est aussi s'arroger le droit de désorienter ceux qui ne savent pas faire le tri dans ce qu'ils entendent, se faire complice des médias qui diffusent une représentation du monde proche de celle que nous rencontrons dans nos rêves.

Vous estimez-vous libre de penser, de dire, que l'on peut sans dommage sauter du haut d'une falaise, prendre l'autoroute à contresens, poignarder un ami etc. ? Soyez prêt, alors, à assumer les conséquences pratiques de vos propos. La pensée, la parole ne sont pas gratuites.