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L'ultra-modernité

9 juin 2007

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Pour lire un peu plus :

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Moderne et post-moderne
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Explorer l'espace logique
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Commerce de la considération
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Vers la croissance qualitative
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Qu'est-ce qu'un sage ?
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La qualité de service chez DHL

Quel adjectif utiliser pour désigner l’économie et la société d’après-demain, celles qui résulteront d’une adaptation mûrie aux possibilités qu’offrent l’automatisation de la production des biens et l'ubiquité logique ?

Le mot « moderne » désigne aujourd’hui l’économie industrialisée, mécanisée, qui s’est mise en place à partir de la fin du XVIIIe siècle et qui a, après bien des drames, trouvé son régime d’équilibre au XXe siècle.

Le mot « post-moderne » désigne le désenchantement qui a, à partir des années 1960, a fait suite aux triomphes de l’industrie : lassitude devant la consommation de masse, nouvelles formes de la création artistique etc.

Mais quel mot utiliser pour désigner ce qui se trouvera au-delà de la modernité et de la post-modernité, qui les outrepassera ? Je propose « ultra-modernité[1] » en prenant le préfixe « ultra » dans ses deux significations : ce qui est outre, au-delà, donc différent de la modernité ; et ce qui est superlativement moderne, qui pousse la modernité jusqu’au bout de son exigence – mais qui, étant « outre », répudie certains traits que l’on croyait propres à la modernité et inséparables d’elle.

*     *

L’ultra-modernité est déjà présente parmi nous mais sous forme d'un germe, de manifestations épisodiques, et sans que sa logique ne se soit clairement dégagée.

Nous sommes ultra-modernes lorsque nous nous soucions de notre effet sur l’environnement, trions nos déchets, économisons l’eau et le carburant, améliorons l’isolation thermique de nos logements etc.

Nous sommes ultra-modernes lorsque nous cultivons la sobriété dans notre consommation, lorsqu’en faisant nos courses nous recherchons le meilleur rapport qualité / prix.

Nous sommes ultra-modernes lorsque, dans l’entreprise, nous entretenons des rapports respectueux avec nos collègues de travail ; notre entreprise est ultra-moderne si elle pratique, envers ses salariés, clients, fournisseurs et partenaires, le commerce de la considération.

Les économistes, les politiques, seraient ultra-modernes s'ils définissaient la croissance non plus en termes de quantité, mais de qualité (voir Vers la croissance qualitative).

L’enseignement est ultra-moderne lorsqu’il indique aux élèves, par l’exemple historique, les voies de la démarche scientifique et les invite à la mettre en pratique.

La langue, l’architecture, la culture sont ultra-modernes lorsqu’elles puisent, dans l’héritage légué par les générations antérieures, le nécessaire pour agir dans un monde toujours renouvelé.

Cela suppose la reconquête du langage qu'avait déjà évoquée Georges Bernanos [2] : « Quiconque tenait une plume à ce moment-là s'est trouvé dans l'obligation de reconquérir sa propre langue, de la rejeter à la forge. Les mots les plus sûrs étaient pipés. Les plus grands étaient vides, claquaient dans la main ». En France les gens du peuple, instinctifs et fins, sont souvent plus cultivés que les cuistres qui monopolisent la parole légitime.

La sagesse enfin, telle que l’ont définie les penseurs chinois, est ultra-moderne : elle élucide les valeurs qu’elle entend promouvoir, elle dépasse les limites de l’individu pour cultiver la plénitude de l’humain[3].

*     *

Si, aujourd’hui, certaines de nos conduites anticipent l'ultra-modernité, d’autres lui tournent le dos : l’ultra-modernité est un possible, l’ultra-barbarie en est un autre. Le sage, disent les Chinois, sait voir les germes du futur : son action consiste à les sélectionner avant que leurs conséquences ne se soient déployées (voir Au carrefour).

La modernité a, dans les pays riches, supprimé la pénurie. Les générations qui ont inauguré l’abondance se sont bien naturellement gavées, et il en reste des traces dans nos comportements : nous sommes des enfants gâtés, gaspilleurs et mécontents. Contrairement à nos attentes le bien-être ne nous a pas apporté le bonheur, mais nous ne savons pas le chercher ailleurs.

Le nationalisme, le mépris de l’autre sont des germes d’ultra-barbarie : l’individu, la nation ne pouvant mûrir qu’en relation avec l’autre, le mépris est une pulsion suicidaire déguisée en énergie, le nationalisme une trahison déguisée en fidélité.

*     *

L’ultra-modernité est essentiellement créative et donc exigeante. Elle n’a rien à voir avec ce que l’on qualifie aujourd’hui de « moderne » : les impulsions de la mode, le chatoiement des médias, la muséification de la culture et des villes, la vanité à laquelle sacrifient les vies qui se dédient au pouvoir ou à la richesse.

Elle s’intéresse, par contre, à des choses que nos modernes estiment « ringardes » parce qu’elles sont simples et intimes. Voici une phrase ultra-moderne que l’on doit à Coco Chanel : « Après avoir tout essayé, c'est dans une tasse de bon café, ou quand je me couche dans un lit aux draps bien repassés, que je trouve mes plus grands plaisirs ».


[1] Dans Sociologie des religions, PUF, 1998, le sociologue protestant Jean-Paul Willaime a proposé le concept d’« ultramodernité » pour éclairer les transformations de la religion à l’époque contemporaine. Nous retenons ici une acception différente de ce terme.  

[2] Conversation avec Frédéric Lefèvre.

[3] Willaime voit dans l’ultra-modernité, telle qu’il la définit, « une réinvention du religieux qui s’atteste à travers des groupes et réseaux convictionnels de militants, en tension avec la société, à partir d’une sous-culture structurante ». Cet éclatement sectaire, dont témoignent divers extrémismes contemporains, nous semble être plutôt un trait de la post-modernité.