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L'exemple de l'entreprise

25 janvier 2009

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Pour lire un peu plus :

- Histoire des techniques
- Capitalisme et socialisme
- Prédation et prédateurs
- De l'Informatique
- Mettre en place une administration des données
- Explorer l'espace logique
- e-conomie
- Modélisation et système d'information
- Histoire d'un tableau de bord

Résumé : L'informatisation a transformé le système productif. Les institutions peuvent tirer d'utiles leçons de l'examen des « bonnes pratiques » des entreprises dont le système d'information est « à l'état de l'art ».

Abstract : Computerization transforms the economy. Institutions can draw useful lessons if they look at the « good practices » of the firms whose information system conforms to the « state of the art ».

*   *   *

Ceux qui vitupèrent le capitalisme et l'entreprise, tout comme ceux qui font l'apologie de l'entreprise et du marché, sont à côté de la plaque.

L'entreprise est une institution. Quand on considère une institution il faut regarder ce qu'elle fait, ce qu'elle produit, puis examiner comment elle produit. Cela suppose de considérer d'abord son rapport avec l'environnement où elle puise ses ressources et injecte ses produits, puis son fonctionnement interne. C'est prendre l'institution par sa racine.

Ce point de vue n'est pas le plus spectaculaire : dans notre époque avide de spectacle [1] il est donc rarement adopté.

*     *

Comme toute institution l'entreprise est un être vivant : elle naît, elle se développe, elle est susceptible de pathologies. Un jour elle se fait dévorer ou elle meurt. Il est utile d'établir le catalogue de ses pathologies. Mais pour cela il faut d'abord savoir ce qu'est la santé, dont ces pathologies s'écartent.

Il n'existe pas d'entreprise en parfaite santé. Comme les êtres humains, les entreprises sont toutes plus ou moins malades, du petit bobo à la maladie lourde et handicapante. L'entreprise en bonne santé est même plus rare que l'être humain en bonne santé car, contrairement à lui, sa santé se définit par référence à un « état de l'art » qui évolue. Il lui suffit d'avoir pris du retard pour se trouver malade.

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Si l'on regarde ce qu'elle fait, on voit que l'entreprise est un acteur de la biosphère : interposée entre la nature (physique et humaine) et la société, elle puise ses ressources dans la nature, elle injecte ses produits (et ses déchets) dans la société.

Ce point de vue « biologique » outrepasse la définition juridique de l'entreprise pour y inclure les administrations et services publics qui, même si leurs produits ne sont pas marchands, consomment des ressources pour produire un service.

*      *

Comme toute institution, l'entreprise a une mission qui indique ce qu'elle doit faire. On entend dire qu'elle doit « faire du profit », « produire de l'argent », « créer de la valeur pour l'actionnaire » etc. Ces définitions, toutes analogues, sont fallacieuses : il ne suffit pas en effet d'indiquer un résultat à atteindre, il faut préciser ses conditions d'existence.

C'est dans les conditions de l'action d'une collectivité humaine sur la nature que l'on peut trouver la définition pratique du but de l'entreprise. Je propose de dire qu'il est de produire efficacement des choses utiles. Dans des conditions économiques normales [2], l'entreprise qui l'atteint dégage d'ailleurs un profit qui lui permet de se développer ou, au moins, de se maintenir à l'état de l'art.

Cette définition écarte les jongleries et artifices comptables qui sont pour les escrocs un raccourci vers le profit. Elle écarte aussi les démarches prédatrices qui dégagent un profit en détruisant du bien-être, de l'utilité. Alors que la formulation « faire du profit » convient aussi bien à des escrocs et des prédateurs, « produire efficacement des choses utiles » explicite le but stratégique des entrepreneurs, dont la passion est d'aménager la nature.

*     *

Comme toute institution, l'entreprise a une organisation qui structure la répartition des pouvoirs de décision légitimes. L'organisation est nécessaire à la réalisation de la mission ; mais elle tend à lui substituer ses propres finalités (pérennité, stabilité etc.) et elle sera souvent la proie de corporations.

Entre l'orientation qu'indique la mission, la structure que fournit l'organisation et la sociologie des corporations se tend un réseau de conflits dont l'entreprise est l'enjeu. Le caractère spectaculaire de ces dialectiques attire l'attention. Sans nier aucunement leur existence ni leur importance, nous adoptons ici un point de vue qui les laisse à l'arrière-plan.

*     *

L'état de l'art présent de l'entreprise est celui du système technique contemporain [3] qui met en oeuvre deux synergies : l'une allie le logiciel et la microélectronique dans l'automate programmable en réseau, ou APU (Automate Programmable doué d'Ubiquité) ; l'autre allie dans l'entreprise l'APU à l'organisation du travail humain, ou EHO (Être Humain Organisé).

Les compétences en mécanique et en chimie ne sont pas plus obsolètes aujourd'hui que ne l'étaient les compétences en agriculture à l'aube de l'industrialisation. Mais avec les robots et commandes numériques la mécanique et la chimie se sont informatisées, tout comme l'agriculture s'est naguère industrialisée.

Rares sont aujourd'hui les entreprises qui maîtrisent cet état de l'art. En évoquant une entreprise en bonne santé, nous décrirons donc un être à la fois réaliste - il tient compte de possibilités et de risques réels - et idéal, car on ne le rencontre pas dans la réalité. On peut le qualifier d'exemplaire.

Pour le décrire, nous traverserons quatre couches que l'on peut résumer chacune en un mot : langage, action, pilotage, stratégie. Les parcourir, c'est comme suivre dans un corps le parcours du système nerveux (cortex, thalamus, pont, bulbe etc.).

*     *

L'entreprise contemporaine se reflète dans le système d'information (SI) où elle dépose son vocabulaire, son organisation, ainsi que les procédures auxquelles le SI fournit un moteur.

Examiner un SI, c'est donc comme radiographier l'entreprise. Celui qui sait lire une telle radiographie voit en effet apparaître ses valeurs et priorités implicites, et il peut diagnostiquer ses pathologies.

*     *

Les « bonnes pratiques », fidèles à l'état de l'art, répondent à l'orientation qu'exprime la formule « produire efficacement des choses utiles ». Celui qui n'a jamais pénétré une entreprise les croit évidentes, et peine à concevoir qu'elles soient si rarement suivies. Nous donnerons donc pour chaque couche « idéale » une liste - non exhaustive - d'errements.

Chacun révèle une défaillance de la « doctrine d'emploi » du SI - tout comme, en d'autres temps, les errements de la stratégie militaire ont révélé une défaillance de la doctrine d'emploi des armes.

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Dans la couche sémantique l'entreprise définit des concepts qui, dans la couche processus, rencontrent les exigences de l'action.

La légitimité de cette création intellectuelle n'est cependant reconnue ni par les philosophes, l'entreprise étant trop récente pour s'inscrire dans l'histoire de la pensée, ni par l'entreprise où l'on cultive volontiers un « pragmatisme » fallacieux et brutal. Ainsi, de façon paradoxale, les ressources intellectuelles de la société se détournent du lieu où celle-ci s'articule à la nature pour élaborer son bien-être.

*     *

L'entreprise est pourtant intelligente : sinon nous ne pourrions ni nous loger, ni nous vêtir, ni nous nourrir. Mais son intelligence est presque toujours implicite.

Elle est souvent le fait de personnes dont la débrouillardise compense, jour après jour, le handicap des pathologies. Certaines entreprises, trop rares (10 à 20 %), ont la chance d'avoir pour dirigeant un véritable entrepreneur : leur orientation stratégique est alors elle-même intelligente.

Ces personnes et ces entrepreneurs associent la rigueur logique (car la nature se venge toujours quand la logique est violée) à la finesse sociologique (car il faut savoir anticiper les comportements). Expliciter cette intelligence, élucider l'entreprise en faisant apparaître sa logique, c'est une tâche qui se propose au philosophe - mais il faudra qu'il fasse preuve d'énergie et de finesse.

*     *

L'informatisation de l'entreprise a transformé les conditions pratiques du rapport entre la société et la nature, les conditions d'obtention du bien-être, voire même le contenu de celui-ci. Mais on la réduit souvent à une dimension technique que l'on croit pouvoir dédaigner. On explique par d'autres phénomènes, qui ne sont que ses conséquences (financiarisation, mondialisation etc.), chacune des crises que son déploiement provoque.

Cependant l'institution marchande (entreprise au sens étroit du mot), éphémère et renouvelée par naissances et décès, est parmi les institutions et malgré ses pathologies celle qui approche le plus l'état de l'art. Examiner l'entreprise exemplaire permet de recevoir des leçons dont toute institution peut bénéficier, puis la société entière.

*   *   *

I - Le socle sémantique

L'entreprise est en relation avec des êtres réels : clients, produits, salariés, entités de l'organisation, partenaires, fournisseurs etc. Pour pouvoir agir envers ces êtres,  elle doit se les représenter.

Son action se fonde ainsi sur un socle dont la construction requiert une ingénierie sémantique. Il lui fournit le langage qui s'inscrit et dans les codages du SI, et dans l'esprit et le parler de ses agents. En définissant les classes d'êtres représentées dans le SI, l'ingénierie sémantique désigne de façon négative celles qui ne le sont pas : cela délimite la portée de l'action de l'entreprise.

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Une fois choisie les classes d'êtres à représenter, il faut identifier chacun des individus qui composent une classe. L'identifiant d'un individu doit être unique et rester stable dans le temps : ainsi l'on pourra comparer les données recueillies lors de diverses relations avec lui.

Puis il faut choisir les attributs à observer sur les individus d'une même classe : ce sont ceux, et ceux seulement, qui servent à définir et exécuter l'action de l'entreprise envers ces individus. Certains de ces attributs définissent une classification des individus. Cette grille conceptuelle sert à l'action comme au raisonnement.

Enfin on associe, à chaque classe, des traitements automatiques pour vérifier la saisie des données, et évaluer d'autres données à partir de celles qui ont été saisies.

L'entreprise ouvre ainsi à chacun de ses agents, à travers l'interface homme- machine (IHM) dont il est équipé, l'accès à un espace logique où sont représentés les êtres avec lesquels elle est en relation. Les représentations sont équipées d'outils permettant de les créer, vérifier et modifier. La doublure informationnelle qu'elles procurent à l'action confère à celle-ci sa cohérence, et vise à lui conférer la justesse.

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Errements :

- ignorer des êtres importants. Certaines entreprises ne veulent connaître ni leur produit ni leur client : un transporteur aérien ne veut connaître que le passager, un opérateur télécoms que la ligne, une banque que le compte.

- identifiants multiples, changeants. Le même produit, le même client ont autant d'identifiants que l'entreprise a d'entités ; l'identifiant comporte un code géographique : il doit changer quand le client déménage.

- attributs mal choisis. Saisir, stocker, traiter, maintenir des données inutiles : c'est épuisant et coûteux.

- concepts  flous. L'ingénierie sémantique cède parfois devant la résistance que lui opposent les entités de l'organisation, attachées à une définition  floue de leurs responsabilités.

- diversité des nomenclatures, dialectes locaux. Diverses entités de l'organisation utilisent chacune une nomenclature différente, ou une interprétation particulière de la nomenclature : le langage de l'entreprise est incohérent, le SI inefficace.

- détail excessif de la grille conceptuelle. La limite de la finesse du « grain de photo » n'est pas logique, mais pratique : si l'on oublie l'action qu'il faut servir, on s'enlise dans l'infini du détail.

- erreurs de saisie. Si la saisie ne s'accompagne pas d'une vérification, des erreurs sont inévitables et le SI est faux : garbage in, garbage out.

- mauvaise tenue à jour. Quand le délai de réplication des données de référence dans les diverses applications est aléatoire, le SI est incohérent, les données sont faussées.

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II - Les processus de production

Dans l'entreprise contemporaine, le produit est un alliage de biens et de services (ou de services seulement), élaboré par un partenariat (e-conomie). La cohésion de cet alliage, ainsi que celle de ce partenariat, est assurée par le SI. Le partenariat, rapport contractuel entre égaux, est préférable à la sous-traitance car un donneur d'ordres est trop souvent tenté d'abuser de sa position de force.

Les partenariats sont élaborés par une ingénierie d'affaires qui définit les responsabilités et le rôle de chaque partenaire, ainsi que le partage des dépenses et recettes. Ils supposent l'interopérabilité des SI des partenaires.

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La première question à se poser devant une entreprise (ou une entité de son organisation) est « que produit-elle? ». Souvent cette question embarrasse (que produisent une banque? Une clinique?) mais l'entreprise progresse quand elle « réalise » ce qu'elle produit.

La deuxième question est « comment produit-on? ». Elle oriente vers la modélisation, puis l'automatisation et l'organisation des processus (succession des tâches nécessaires à la production).

L'informatisation des processus est aujourd'hui la mission essentielle du SI. Le processus débute par la fourniture des matières premières et produits intermédiaires, il se conclut par la mise du produit entre les mains du client et le paiement de la facture par celui-ci. Il inclut les services avant- et après-vente, le centre d'appel,les dépannages, la réponse aux réclamations etc.

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Depuis que l'être humain produit, la production suit un processus : ce concept n'a donc rien de nouveau. Seules sont récentes son explicitation, sa modélisation et son informatisation.

Souvent le processus a des défauts : redondances, erreurs d'aiguillages, files d'attente LIFO (Last In First Out), délais aléatoires, bras morts. Le modéliser permet de les repérer et de les corriger. L'automatiser soulage le travail humain en lui fournissant des tables d'adressage, des formulaires, une vérification de la saisie, une documentation contextuelle, une messagerie etc.

L'art réside ici dans le partage judicieux entre l'automate et l'être humain, chacun devant faire ce qu'il fait le mieux. L'automate classe, mémorise, retrouve, calcule, transmet. Il assiste l'être humain qui, mieux que lui, sait interpréter, réfléchir, évaluer, expliquer, décider.

L'agent opérationnel est habilité à accomplir les tâches qui correspondent à ses fonctions, et elles seules. La gestion des habilitations est un des principaux outils de la sécurité de l'entreprise. L'informatisation du processus permet aussi d'obtenir automatiquement les indicateurs qui permettent de le superviser.

En associant à chacune des composantes du produit (ainsi qu'aux déchets que suscitent la production et la consommation) la doublure informationnelle qui assure leur traçabilité, le SI éclaire et la qualité des produits, et l'insertion de l'entreprise dans la nature.

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Errements :

- refuser la modélisation. Certains croient que modéliser un processus, ce serait graver dans le marbre les erreurs qu'il comporte.

- conception restrictive du processus. Certaines entreprises négligent les services que leur produit comporte pourtant.

- trop automatiser. La capacité d'initiative des agents opérationnels est alors désamorcée.

- désordre des habilitations. Si elles sont plus larges que ne le comporte la fonction des agents, la sécurité est compromise.

- refus de l'ingénierie d'affaires. La grande entreprise qui n'a jamais eu de partenaires, qui a toujours été impériale avec ses fournisseurs, sera incapable de monter des partenariats.

- impossibilité du partenariat. Deux SI de mauvaise qualité sémantique ne peuvent pas interopérer : alors les entreprises ne peuvent pas conclure de partenariat.

- refus de la traçabilité. Il est très difficile de garantir la qualité du produit, de maîtriser le traitement des déchets.

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III - Le pilotage opérationnel

La complexité de la nature étant sans limite, la modélisation, même soigneuse, ne peut pas prévoir tous les cas qui peuvent se présenter. Des surprises se produiront donc. C'est pourquoi il importe de laisser à l'être humain sa part d'initiative.

L'automate est par ailleurs sujet à des pannes, aucun logiciel n'est parfaitement exempt de défauts (Jacques Printz, Architecture logicielle, Dunod 2006 p. 73) : il faut prévoir des alarmes, des outils de dépannage, un fonctionnement en mode dégradé.

L'organisation contemporaine délègue à l'être humain une large responsabilité opérationnelle. Mais comme il est sujet à la fatigue et à l'étourderie des incidents se produiront : il faut les analyser soit pour réviser le processus, soit pour mettre à jour les consignes et formations professionnelles.

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L'automate fournit de façon continue des indicateurs de délai, quantité, qualité,  satisfaction des clients, utilisation des ressources, coût de production. Ces indicateurs permettent de superviser l'automate ainsi que le travail des êtres humains et d'assurer ainsi le pilotage opérationnel de la production.

Ce pilotage doit être orienté vers le but de l'entreprise : efficacité de la production, utilité des produits.

Le choix des indicateurs demande de la finesse : un indicateur peut avoir des effets pervers. La supervision de l'automate est confiée à un superviseur ; celle des êtres humains, à un gestionnaire opérationnel qui remplit la délicate fonction d'animateur.

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Errements :

-  flicage. Un excès de contrôle suscite l'angoisse chez les agents opérationnels.

- absence d'indicateurs importants. Focalisée sur la production, l'entreprise n'observe pas la satisfaction des clients. Ou bien, focalisée sur son image, elle néglige la maîtrise du coût de production.

- effets pervers. L'entreprise travaille pour produire de « bons » indicateurs et non pour satisfaire efficacement ses clients.

- supervision inexistante. L'entreprise fait confiance à l'automate : elle est désarmée en cas d'incident.

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IV - L'orientation stratégique

L'expression « pilotage stratégique » est un oxymore : le pilotage est assuré par les gestionnaires opérationnels qui contrôlent la production. Le stratège, lui, oriente l'entreprise en indiquant la trajectoire qu'elle devra suivre.

L'orientation suppose qu'il fasse des choix et sache convaincre l'entreprise d'y adhérer. Ces choix portent sur sa gamme de produits, ses marchés, ses techniques de production, ses compétences, son organisation. Ils déterminent ses investissements.

L'art du stratège suppose le « coup d'oeil » : le bon sens, éclairé par une intuition exacte, le guide vers la décision juste. Rien n'est plus banal ni plus simple en apparence, rien n'est plus rare ni plus complexe en fait. L'intuition est utilement nourrie par la connaissance des ordres de grandeur et le repérage des retournements de tendance.

Pour que l'entreprise puisse adhérer à la décision, il faut que l'intuition soit partagée par le comité de direction. Les données que fournit le SI, complétées par des données externes relatives à la concurrence, à l'évolution des techniques et à celle des besoins des clients, permettent d'établir à son intention un tableau de bord sélectif et judicieux.

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Errements :

- pas de tableau de bord. L'entreprise est comme un avion privé d'instruments et dont les vitres du cockpit seraient sales.

- incompétence en statistique. L'entreprise ne ressent pas le besoin d'une compétence en statistique, alors que celle-ci est nécessaire pour interpréter les données.

- statistiques contradictoires. Chaque entité produit ses propres statistiques et elles se contredisent.

- manque de sélectivité. Les tableaux de bord étant trop nombreux et trop détaillés, personne ne les lit : leur volume les rend inutiles.

- absence d'interprétation. Les commentaires paraphrasent les tableaux de nombres et n'apportent aucune explication.

- mauvaise présentation de la chronologie. Les séries chronologiques sont mises sous la forme « m / m -12 » (comparaison avec le même mois de l'année précédente) : comme elle mêle deux conjonctures, elle empêche de repérer les retournements de tendance.

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Le langage sert de socle à l'action de l'entreprise (on ne peut agir collectivement que sur les êtres que le langage désigne). L'action transforme le monde, mais il faut la contrôler. La stratégie enfin oriente l'entreprise.

Mais pour que la stratégie puisse se concrétiser en une action il faut définir le langage qui servira de socle à celle-ci : toute technique nouvelle nécessite un mode d'emploi et un vocabulaire ; tout produit nouveau doit être nommé ainsi que les éléments qui contribuent à son élaboration ; tout nouveau segment de clientèle doit être désigné etc. Les êtres qui ne sont pas représentés dans le langage de l'entreprise, dans son SI, n'existent pas pour elle : ils sont hors de la portée de son action.

Dans la dynamique de l'entreprise les quatre couches que nous avons décrites forment ainsi une boucle. Elles sont comme les quatre temps d'un moteur qui propulse l'entreprise exemplaire sur sa trajectoire.

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Le SI à l'état de l'art focalise l'entreprise sur ses produits, l'efficacité de leur production, la satisfaction des clients. Répondant ainsi au but de l'entreprise tel que l'entrepreneur le conçoit, il est l'allié de celui-ci dans sa lutte contre les prédateurs.

Comme tout prédateur se déguise en entrepreneur il est souvent difficile de savoir à qui l'on a affaire. L'examen du SI permet un diagnostic : l'entreprise dont le SI est de bonne qualité est, à coup sûr, dirigée par un entrepreneur.

Construire un SI de qualité est en effet une opération difficile et qui, contrariant les habitudes, suscite des oppositions. Pour que l'entreprise puisse y parvenir il faut que son dirigeant ait l'esprit clair, une volonté ferme, de l'autorité, et qu'il serve fidèlement la mission de l'entreprise.

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L'entreprise exemplaire fournit un modèle à toutes les institutions : les systèmes éducatif, sanitaire, judiciaire, législatif, l'armée etc. peuvent utilement s'en inspirer.

En les focalisant sur le service produit et sur l'efficacité de sa production, le SI aide le stratège, l'animateur, à rappeler l'institution à sa mission en la libérant de la pince où tentent de l'enfermer l'égoïsme des corporations et les habitudes de l'organisation.

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[1] Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, Gallimard, 1992

[2] C'est-à-dire si l'économie n'est pas orientée par un autre but que la satisfaction du consommateur.

[3] Bertrand Gille, Histoire des techniques, Gallimard, 1978.