RECHERCHE :
Bienvenue sur le site de Michel VOLLE
Powered by picosearch  


Vous êtes libre de copier, distribuer et/ou modifier les documents de ce site, à la seule condition de citer la source.
 GNU Free Documentation License.


Protocoles et paradigmes

6 août 2004


Liens utiles

- Origines de l'Internet
- Problèmes de mise en place

-
Protocoles de réseaux locaux

Le fonctionnement des réseaux nous semble tout naturel : nous ne percevons pas l’effort intellectuel qui a été nécessaire pour mettre au point les protocoles de communication. A chaque étape, cet effort a été le fait de quelques pionniers qui ont dû lutter pour faire passer une innovation surprenante ; une fois adoptée, celle-ci s’est imposée comme une norme. Souvent elle a résisté aux innovations suivantes, faites par d’autres pionniers.

A chaque protocole correspond une certaine vision de ce que doit être le réseau, un certain « paradigme ».

Premier paradigme : la téléphonie

Le réseau téléphonique était dans les années 1960 entièrement électromécanique, et non pas électronique. Il n'utilisait pas l'ordinateur.

Sa conception se fondait sur une évidence en quelque sorte palpable : le circuit qui transporte les ondes électromagnétiques porteuses du signal vocal établit une continuité physique entre les deux téléphones via les lignes d’abonné de la boucle locale, les contacts établis dans les commutateurs de rattachement et de transit, et un intervalle de largeur de bande sur le multiplex du réseau de transport. Le rôle des commutateurs est alors d’établir la communication lors de l’appel, de la maintenir pendant la conversation, puis de libérer les circuits lorsque celle-ci est terminée.

Les règles de qualité, d’ingénierie et de dimensionnement de ce réseau étaient définies en fonction du signal vocal et de la matrice de trafic de la téléphonie. Elles délimitaient un univers technique spécifique, d'ailleurs d’une grande complexité, et dont le fonctionnement supposait la formation et la coopération de plusieurs spécialités.

Deuxième paradigme : la commutation de paquets

La commutation de paquets relève d’un univers technique complètement différent. Le transport des données sur les lignes téléphoniques demande une modulation spécifique qui sera faite par les modems[1], et non plus par les téléphones. Il faut que la qualité des lignes soit suffisante pour transporter des données. Les commutateurs doivent « pédaler » pour lire l’adresse sur chaque paquet, consulter la table de routage, orienter le paquet vers le circuit de sortie convenable. Le circuit transporte d’un commutateur à l’autre non plus une seule conversation, mais des paquets ayant des destinations différentes. La statistique du trafic n’est plus la même et il faut des files d’attente (buffers) pour stocker les paquets en attente de retransmission.

Les commutateurs électromécaniques étaient incapables de réaliser ces fonctions : il fallait les remplacer par des ordinateurs spécialisés. Les règles de qualité, d’ingénierie et de dimensionnement devaient donc être redéfinies, et de nouvelles spécialités professionnelles devenaient nécessaires à l’exploitation du réseau.

Circuit virtuel et datagramme

En outre, deux techniques entrèrent en concurrence dans l’univers de la commutation de paquets : le « circuit virtuel » et le « datagramme ».

Quand la communication emprunte un circuit virtuel, le premier paquet laisse une trace dans la mémoire des commutateurs qu’il traverse et réserve une capacité de transmission de telle sorte que les paquets suivants puissent emprunter le même itinéraire : les paquets arriveront ainsi à l’ordinateur destinataire dans l’ordre où ils ont été émis.

Quand on envoie des datagrammes, chaque paquet parcourt un itinéraire qui lui est propre, indépendamment des autres paquets ; les délais de transmission étant différents, il se peut que les paquets n’arrivent pas dans l’ordre d’émission : le protocole devra donc permettre de les reclasser à l’arrivée.

Les opérateurs télécoms favorisèrent le circuit virtuel car la continuité qu’il établit à travers le réseau répond à leur culture professionnelle. Le datagramme, qui suppose entre le réseau et les ordinateurs un partage du travail plus favorable à ces derniers, était par contre bien vu par les informaticiens[2].

Le protocole X25 a utilisé le circuit virtuel alors que TCP/IP utilisait le datagramme. Pendant longtemps les opérateurs télécoms se méfieront de TCP/IP, qu'ils jugeaient peu fiable : cela explique en partie leurs réticences devant l’Internet.

Troisième paradigme : le réseau local

Si les univers de la commutation de paquets et de la téléphonie sont distincts, ils ont en commun la commutation. Celle-ci disparaît dans l’univers des réseaux locaux (ou LAN, Local Area Network), encore plus déroutant pour les gens des télécoms.

Sur un réseau Ethernet en effet, il n’y a pas de commutateur. Chaque ordinateur est connecté à un « bus » qui lui transmet toutes les trames émises par les autres ordinateurs. Il lit l’étiquette et trie, pour en lire le contenu, celles qui lui sont destinées.

Alors que le réseau commuté met en relation les ordinateurs deux à deux en leur réservant un canal de transmission, le réseau local est donc comme une pièce dans laquelle s’entrecroiseraient plusieurs conversations. Le protocole précise les règles de prise de parole et d’interruption en cas de collision. Il en a existé plusieurs versions (Ethernet, Token Ring etc.) : à chacune correspondent une statistique de trafic et une performance spécifiques.

Pour raccorder deux réseaux locaux, on installe entre eux un pont (bridge) qui trie les trames destinées à l’autre réseau pour les lui faire passer. Si l’on raccorde plusieurs réseaux, il faut un routeur capable d’orienter la trame vers le réseau destinataire. On retrouve donc dans les routeurs une fonction de commutation, mais qui s'opère entre réseaux et non communication par communication. Ainsi peuvent se définir des architectures à plusieurs niveaux, la communication entre plusieurs réseaux locaux étant réalisée par un « backbone » à haut débit.

Validation statistique d'un protocole

A chacun des types de réseau correspond une statistique de trafic particulière et une définition spécifique de l'encombrement.

Sur le réseau téléphonique, l'encombrement se traduit par l'impossibilité d'établir la communication : l'utilisateur reçoit un signal lui indiquant que les circuits sont occupés et qu'il doit rappeler plus tard. Par contre, sauf accident, une communication en cours n'est jamais interrompue.

Avec la commutation de paquets, l'encombrement se traduit par un débordement des mémoires (buffers) qui, dans les routeurs, stockent les paquets en attente de routage. Il faudra que le routeur, ou l'ordinateur destinataire, envoie un message à l'émetteur pour lui demander d'expédier de nouveau le paquet perdu.

Sur le réseau local, l'encombrement se traduit par de nombreuses collisions entre trames ; si la fréquence des collisions dépasse un certain seuil, le réseau ne peut plus rien transmettre : il est saturé.

Pour chaque type de réseau le dimensionnement doit, lors de la phase de construction, rechercher le compromis raisonnable entre coût et risque d'encombrement. Lors de la phase d'exploitation, chaque type de protocole comporte une réponse à l'encombrement : traitement des « tickets d'échec » et filtrage de certains appels dans le cas du réseau téléphonique ; délai de réémission dans le cas de la commutation de paquets et du réseau local. 

Lors de la conception d'un nouveau protocole, des études statistiques et des simulations sont nécessaires pour vérifier s'il est utilisable et définir ses paramètres. Pour procéder aux ultimes réglages il faut l'expérimenter sur un réseau pilote, puis en vraie grandeur.

Tant que ces études et réglages n'ont pas été faits, tant que le coût des composants n'a pas été évalué, rien ne garantit que le protocole puisse fonctionner dans des conditions économiques acceptables. C'est pourquoi tout protocole nouveau rencontre, de la part des exploitants, un scepticisme qui ne peut céder que devant la démonstration et surtout devant l'expérimentation. Aucun protocole ne pourra donc naître s'il n'est pas soutenu par une équipe de pionniers qui, par l'intuition autant que par le raisonnement, se sont construit une anticipation favorable de ses performances.

L’enchaînement des protocoles

La même communication devra souvent enchaîner plusieurs protocoles différents. C’est le cas par exemple d’un ordinateur raccordé à un réseau local et qui consulte un serveur Web : il faut enchaîner Ethernet et TCP/IP. Cela nécessite une passerelle (gateway) capable non seulement de lire l’étiquette de la trame pour la faire sortir du réseau local, mais aussi de reconstruire le message pour l’émettre vers l'Internet selon le protocole TCP/IP et inversement dans l’autre sens.

Sur le WAN de l’entreprise (Wide Area Network), qui relie les établissements aux serveurs informatiques centraux, une cascade de protocoles s’enchaîne à travers des passerelles qui « pédalent » activement lors de chaque communication : Ethernet sur le réseaux local ; IP sur le réseau de raccordement ; X25 ou Frame Relay[3] sur le backbone intermédiaire ; ATM[4] sur la boucle du backbone central.

TCP/IP et Ethernet


[1] Les premiers modems avaient été mis au point à la fin des années 50 pour le système de défense aérienne des Etats-Unis. Le premier modem commercialisé apparaît en 1962 : c’est le Bell 103 d’AT&T, qui permet de transmettre 300 bit/s.

[2] Les protocoles pouvaient comporter d’autres fonctions : découpage des paquets en trames pour la transmission, et recomposition des paquets dans chaque commutateur avant réexpédition ; vérification de l’intégrité du paquet à chaque étape, avec réexpédition éventuelle ; etc.

[3] Frame Relay est une version allégée de X25 : en simplifiant le protocole et en supprimant des contrôles redondants, elle fait gagner un ordre de grandeur en vitesse de commutation.

[4] Le protocole ATM (« Asynchronous Transfer Mode », 1989), conçu pour les réseaux numériques multiservices, est utilisé aujourd’hui dans les backbones à haut débit. Voir le portrait de Jean-Pierre Coudreuse, son inventeur.