RECHERCHE :
Bienvenue sur le site de Michel VOLLE
Powered by picosearch  


Vous êtes libre de copier, distribuer et/ou modifier les documents de ce site, à la seule condition de citer la source.
 GNU Free Documentation License.


Message et superstition

2 avril 2002


Liens utiles

- Les institutions contre l'intelligence
- Le cœur théologal
- La Cabale
- Veritatis Splendor

- Jean-Paul II

Je suis l'un de ces chrétiens non pratiquants qui se comptent par millions en France. Si nous sommes restés croyants, ce n'est pas grâce à l'institution ecclésiastique mais malgré elle et en nous éloignant d'elle. Des cinq papes qui se sont succédés en 50 ans, Jean XXIII est le seul dont la parole nous ait touchés. Nous connaissons des prêtres estimables mais nous sommes anticléricaux, selon la tradition française qui refuse a priori de faire confiance aux clercs. Nos peintres du moyen âge ont placé des prêtres, des évêques, des papes dans les représentations de l'enfer. Péguy n'était pas pratiquant. Bernanos a invectivé des évêques. La foi est une affaire trop sérieuse pour que l'on puisse s'en remettre à une institution. 

Dieu n'est pas pour nous une figure paternelle à laquelle on accède à travers une hiérarchie mais plutôt, d'une façon d'ailleurs orthodoxe au plan théologique, la flamme intime et secrète qui éclaire notre action. Certains des dogmes de l'Église, comme l'infaillibilité pontificale, l'immaculée conception ou encore l'assomption, nous laissent indifférents. Nous n'avons vu que superstition dans la célébration des apparitions de Fatima.  

Nous respectons la simplicité et la dignité de l'Islam, la profondeur du judaïsme. Cependant l'incarnation est notre repère propre, à nous chrétiens. La sagesse chinoise est parvenue, en suivant un autre chemin, à une méditation proche de celle-là. 

Les Évangiles nous apportent une leçon de savoir-vivre. Les pauvres, dit Jésus, méritent le respect. Les riches doivent se défier des tentations. La femme adultère est pardonnée, car qui peut prétendre n'avoir jamais péché ?

* *

L'histoire de la femme adultère est dans les Évangiles la seule mention de la sexualité. Cette discrétion, le pardon de la faute, s'interprètent clairement : certes l'adultère n'est pas approuvé, mais il est moins grave que les fautes que provoque la poursuite de la richesse. Par ailleurs la sexualité ne mérite pas qu'on lui consacre de longs discours. 

L'Église catholique s'est sur ce point écartée des Évangiles. Les "Pères de l'Église" des premiers siècles étaient pétris de stoïcisme. Les stoïciens, qui cultivaient l'égalité d'humeur, voyaient dans la sexualité le pire ennemi de la sagesse. Ils se défiaient des désirs, des passions et de la féminité. Cette pensée, mêlée à une tradition ascétique venue de l'Inde par la Perse, a influencé l'Église.

La sexualité est devenue l'ennemi de celle-ci en lieu et place de la richesse, seul l'usage reproductif de l'appareil génital étant encouragé. "Certes, nous disait-on au catéchisme, la pauvreté est recommandée ; mais à l'impossible nul n'est tenu". Cette restriction n'est jamais mentionnée lorsque l'on parle de la chasteté.  

Le célibat des prêtres est une mutilation volontaire héritée de la tradition monastique qui remonte, bien avant le christianisme, à l'ascétisme indien. Cette tradition n'est pas évangélique. Elle ne s'est imposée qu'au XIIe siècle. πρεσβυτης veut dire "vieillard" : les prêtres ont d'abord été des hommes mariés, les plus âgés de la communauté.

Qu'une personne choisisse le célibat et la chasteté, c'est son affaire et un tel choix peut d'ailleurs se comprendre. En faire une règle impérative pour les prêtres, c'est une autre question. Les vœux perpétuels du religieux ne tiennent pas compte de la succession des phases qui composent la vie humaine : la mutilation qu'un homme de vingt-cinq ans accepte avec un enthousiasme sincère peut lui être intolérable quelques années plus tard. Le prêtre est alors contraint, pour conserver son équilibre, à faire ce qu'il interdit aux autres. Cela implique un mensonge que ces hommes généreux supportent mal.

Le culte marial, avec ses effusions, est alors un palliatif. Une prière évoque "saint Joseph, son très chaste époux". J'ai encore dans l'oreille le ton ému des personnes qui la prononçaient : le malheur du prêtre faisait écho, d'une façon très trouble, à la frustration de certaines femmes. J'entends encore les paroles étranges du confesseur demandant des nouvelles de ma "pureté", à moi petit garçon qui ne pouvais concevoir de quoi il parlait.  

* *

La religion du XIXe siècle, mélange sociologique complexe, s'est prolongée jusqu'au milieu du XXe. Les "gens bien" avaient une foi aussi confortable que ces prie-Dieu d'ébène, une croix et des palmes sculptées dans le dossier, un douillet capitonnage de velours rouge pour les coudes et les genoux. Un crucifix orné d'un brin de buis béni était pendu à la tête du lit conjugal. Au dessus des simples fidèles s'empilait la hiérarchie des ordres sacrés chère à Bossuet qui, commençant au prêtre, se poursuivait par l'évêque et culminait au pape, non sans grades intermédiaires. Dans les couvents on trouvait des portraits de prélats, portraits fort bien faits et coûteux où ne manquaient aucun reflet de la moire pourpre ou violette, aucun détail de la broderie des surplis. Lors des cérémonies le pape était porté sur une chaise et rafraîchi par des éventails de plume d'autruche, rite dont on trouve la description dans Plutarque : il était déjà pratiqué pour le grand prêtre de la Rome païenne, le Pontifex maximus. On appelle encore le pape "souverain pontife" (et aussi "Sainteté", ce qui manque vraiment de modestie). 

Certes l'Église a évolué depuis Pie XII. Paul VI a renoncé à la tiare, on ne voit plus de chaise à porteurs ni d'éventails de plume. L'Église s'est "modernisée" superficiellement, non sans commettre en liturgie, en architecture ou en musique, de ces fautes de goût qui révèlent que le cœur n'y est pas.

Cette combinaison symbolique ambiguë répugne à quiconque a un goût sobre, une sensualité nette, des idées claires. "Ces choses-là sont secondaires, disent ceux qui ne lisent pas les symboles et ne sentent pas ce que révèle une esthétique, ne vous y arrêtez pas. L'essentiel réside non dans l'esthétique de l'Église mais dans la vérité de la foi, dans les dogmes révélés ou enseignés par les Pères de l'Église et dont se nourrit la vie intérieure d'une multitude de simples fidèles."

Mais le Credo, que les catholiques doivent prononcer depuis que le concile de Trente leur a ordonné de renoncer à réfléchir sous peine d'hérésie, nourrit-il vraiment la vie intérieure des fidèles ? Des ouvrages comme ceux de Jacques Maritain, philosophe catholique apprécié à Rome, illustrent en effet une incohérence. D'une part, selon la tradition héritée de la Bible, Dieu s'exprime par la création mais il est inconnaissable en ce sens qu'aucune connaissance ne peut épuiser sa réalité ; d'autre part, selon la tradition hellénique des Pères de l'Église, celle-ci prétend connaître sur Dieu, ainsi que sur la "loi naturelle", des vérités dont elle a fait des dogmes qui s'imposent à tout croyant. Mais si Dieu est inconnaissable, n'est-ce pas blasphémer que d'accorder foi à des affirmations aussi précises ?

Ceux qui pensent ainsi, me dit-on, jouent leur salut. Mais pour celui qui, au lieu de marchander sa vie éternelle, cherche à vivre selon l'Évangile, le salut importe moins que la fidélité. Vous qui proclamez des "vérités" du haut d'une position hiérarchique, ne devriez-vous pas plutôt méditer en silence et cultiver la modestie ? On dirait que vous voulez nous coincer entre la peur de l'enfer et la peur du péché, entre la peur de la mort et la peur de la sexualité, pour asseoir un pouvoir sur la souffrance, le déséquilibre psychologique de millions de fidèles et de vos propres religieux. Cet affreux dispositif serait bien plus oppressif que ceux qu'a décrits Michel Foucault !

Ne vous étonnez pas si, pour l'éviter, certaines personnes se conduisent mal. Tout esclave qui se libère est d'abord un maladroit. Faute de pouvoir cultiver l'Évangile que vous avez confisqué, le peuple qui vous échappe cherche sa "liberté" dans un imaginaire capricieux, une pornographie fatigante. Il tâtonnera encore longtemps avant de pouvoir se construire un nouveau savoir-vivre. L'Église aura alors sa place si elle est laïque, si elle constitue un peuple, λαός, retrouvant ainsi le sens originel d'εκκλησία, assemblée : cela n'exclut certes pas une forme d'organisation et d'autorité, mais différente à coup sûr de la monarchie d'aujourd'hui.