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Un système d’information mûr

6 novembre 2002

Le système d’information de certaines entreprises est enfin arrivé à maturité. Pour cela, il a fallu se battre, surmonter des obstacles, modifier l’organisation, faire accepter de nouvelles valeurs et de nouvelles compétences [1].

La lutte a été longue, mais elle a porté ses fruits : le référentiel est en bon état, les processus de travail sont bien outillés, les composants [2] sont modulaires (ce qui facilite leur évolution), le « bus » qui les relie au sein du système informatique [3] est bien maîtrisé, l’interopérabilité avec les partenaires fonctionne bien [4], des workflows équipent les procédures administratives dont ils mettent en évidence la qualité, les divers médias sont convenablement articulés [5], le système d’aide à la décision est en place, l’Intranet et l’Internet sont entrés dans les mœurs. Le SI a été urbanisé. Les utilisateurs sont satisfaits ; ils trouvent tout cela aussi simple, aussi naturel que l’air qu’ils respirent. 

A partir d’un certain stade, cela ne vaut plus la peine de lancer de nouveaux grands projets : leur apport serait inférieur au coût des perturbations qu’ils provoquent [6]. Il faut donner la priorité à la bonne utilisation du SI existant. Alors les pionniers s’ennuient. Peut-être faut-il une relève : les hommes qui savent faire fonctionner le système existant n’ont pas le même caractère que ceux qui ont lutté pour « changer le monde [7] ».

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Que reste-t-il à faire quand le SI est mûr ?

Il faut d’abord le faire vivre, l’utiliser ; cela suppose de former les nouvelles recrues, d’animer les « bons usages », d’administrer les droits d’accès, d’administrer aussi les processus pour conforter la qualité de l’entreprise.

Puis il faut faire en sorte que le SI se maintienne au niveau de l’état de l’art. Or celui-ci évolue, tant du point de vue fonctionnel que du point de vue technique. La veille technologique, réalisée par la direction informatique, doit permettre de s’assurer que l’entreprise utilise bien les possibilités offertes par les NTIC [8] ; la « veille SI », réalisée par les maîtrises d’ouvrage, permet de voir la façon dont les entreprises comparables utilisent leur SI.

Il faut aussi surveiller deux frontières, et éventuellement les réviser :

-          la frontière qui sépare la part du SI confiée à un ERP et celle qui est programmée « en spécifique » : elle change en raison de l’évolution des ERP ;

-          la frontière entre la part du système informatique exploitée en interne et celle qui est externalisée : elle change en raison de l’évolution de l’offre d’hébergement.

Ensuite il faut adapter le SI aux évolutions de l’entreprise et du marché sur lequel elle intervient : produits nouveaux, nouvelles clientèles, nouveaux procédés de production et de commercialisation, nouveaux partenaires.

Ainsi, même si le flux des projets nouveaux est faible il n’est pas entièrement tari.

On doit enfin se soucier de minimiser le coût du SI, souci toujours présent mais qui avait pu passer au second plan pendant la mise en place. Il est temps de l’industrialiser. Les projets étant désormais moins nombreux, la dépense porte essentiellement sur l’exploitation et la maintenance.

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Pourquoi les SI de nos entreprises ne sont-ils pas mûrs ? parce que généralement elles ne distinguent pas bien le gros œuvre de la finition. Le gros oeuvre fonde la solidité du système (par analogie avec un immeuble : fondations et murs porteurs solides, connexions bien dimensionnées aux divers réseaux), la finition permet de rendre des services utiles (les fenêtres ferment bien, les peintures sont de bonne qualité, les tapisseries sont jolies). Sans gros œuvre, le SI reste fragile et incohérent ; ce n’est pas un système mais un machin, même s'il est chatoyant.

Certaines entreprises s’intéressent davantage aux projets en cours, à leurs épisodes glorieux ou conflictuels, aux « paillettes », qu’à la solidité du gros œuvre dont les avantages ne peuvent apparaître qu’à moyen terme. Celui qui entend s’occuper du gros œuvre s’attirant des ennuis, les vocations sont rares.

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Les entreprises parvenues les premières à la maturité du SI bénéficient d’un avantage concurrentiel : plus productives, plus souples, elles savent faire évoluer leur positionnement et tirer parti des partenariats. Cela leur procure un profit supérieur à la norme que la concurrence instaure dans leur secteur d’activité.

Lorsque les entreprises auront toutes mûri leur SI, lorsqu’elles maîtriseront toutes la façon dont il concrétise et outille leur langage et leurs processus de travail, le SI sera devenu une composante du capital productif comme les autres. L’avantage concurrentiel disparaîtra ; ce sont les consommateurs qui bénéficieront du gain d’efficacité apporté par le SI sous la forme d’une hausse du rapport qualité/prix.

La maturation du rôle du SI sera la grande affaire économique du XXIème siècle. La modification des valeurs, priorités et organisations qu’elle implique demandera quelques décennies, de même qu’il a fallu des décennies pour que les entreprises sachent utiliser l’énergie d’origine fossile et l’électricité [9]. Les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui, les obstacles étonnants opposés à des mesures peu coûteuses et de simple bon sens (comme la mise en place des workflows) donnent la mesure des changements que le SI provoque ou nécessite.

C’est pourquoi il est intéressant d’observer dès aujourd’hui les SI mûrs, qui ne le sont d’ailleurs souvent qu’en partie : ils nous permettent de concevoir ce que seront les entreprises et l’économie de demain.


[1] Notamment les compétences de la maîtrise d’ouvrage en SI, si rares et si difficiles à constituer.

[2] Au sens des langages objet : le « composant » est un ensemble de classes qui, dans le SI, représente un être du monde réel. 

[3] Le « bus » est un « middleware » qui traite des questions importantes tant au plan fonctionnel qu’au plan technique : compatibilité des codages, synchronisme, concurrence, persistance, performance, accès à des services commun (sécurité, supervision, métrologie etc.)

[4] L’interopérabilité avec les partenaires suppose non seulement que les SI soient de bonne qualité, mais aussi que l’entreprise ait pratiqué une « ingénierie d’affaires » pertinente afin de partager convenablement les responsabilités, coûts et recettes avec les partenaires.

[5] Le SI est cohérent, pour le client externe de l’entreprise comme pour l’utilisateur interne, quel que soit le média utilisé (courrier, téléphone, Internet, « présentiel », carte à mémoire, etc.) C’est une des conditions du commerce électronique.

[6] De même, dans une ville, on doit trouver l’équilibre entre les chantiers et la vie courante (les chantiers visent une amélioration future mais perturbent le fonctionnement aujourd’hui).

[7] Alors que j’étais responsable de la maîtrise d’ouvrage dans une grande entreprise, j’ai eu un échange révélateur avec le directeur informatique et télécoms :
DIT : « Quel est ton but ? »
MV : « Faire en sorte que le SI équipe convenablement les métiers, que l’entreprise soit efficace » 
DIT : « Holà, tu veux donc changer le monde ! »
MV : « En quelque sorte oui, modestement ; quel autre but peut-on poursuivre ? »
DIT : « Mon but à moi, c'est de faire du business ».

[8] Les possibilités offertes par les NTIC vont évoluer rapidement tant que la loi de Moore jouera, c’est-à-dire au moins jusqu’en 2015 ou 2020.

[9] Dans l’industrie du début du XIXème siècle la liste des "moteurs" était la suivante : moulins (à vent, à eau, à manège), machines à vapeur, chevaux et mulets, bœufs (Statistique générale de la France, Industrie 1847).